Micheline Presle : la disparition d’une « Sainte Chérie »

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Micheline Presle n’est plus. Elle nous a quittés, à 101 printemps seulement. Avec sa disparition, ce n’est pas une page qui se tourne, mais un livre qui se ferme, comme on dit. Michèle Morgan et Danielle Darrieux ont tiré leur ultime révérence ; en 2016 pour l’une et en 2010 pour l’autre. C’est dire si la belle Micheline Chassagne (son nom à l’état ivil) était la dernière de sa catégorie et devait se sentir bien seule.

Avec le recul, et ce, contrairement à ses deux augustes consœurs défuntes, il n’est pas incongru de prétendre que jamais elle n’accéda au rang de « mythe » du septième art. Peut-être parce qu’elle n’eut pas, telle Michèle Morgan, un Marcel Carné pour la sublimer. Bref, on cherche en vain son Quai des brumes (1938) et pas un seul Jean Gabin pour lui susurrer à l’oreille : « T'as de beaux yeux, tu sais… » Mais pour faire bonne mesure et pour la petite Histoire, le plus beau gosse du cinéma français d’alors lui aurait dit en privé : « Il suffit de te regarder et on te pardonne tout. » Voilà qui vaut bien la réplique de Jacques Prévert relative à Michèle Morgan et son envoûtant regard.

Pourtant, le palmarès de Micheline Presle, ce n’est pas rien : 19 pièces de théâtre, 23 téléfilms et 124 films. Qui dit mieux ? Pas grand monde. Ce, d’autant plus qu’on n’y trouve pas un seul nanar : cette dame savait lire un scénario avant de signer un contrat. Au fait, voulait-elle véritablement faire carrière ? Rien n’est moins sûr, tant elle se laissa toujours porter par le vent, sans toujours apporter plus d’importance que ça à son métier. Il est vrai qu’être chèrement payé pour dire des mots écrits par d’autres que soi n’en est pas vraiment un.

Une carrière précoce…

Pourtant, elle commence tôt, à seulement 15 ans, en donnant la réplique à Charles Trenet dans Je chante (1938) ; un rôle si mince qu’elle n’est même pas créditée au générique. Un an plus tard, la consécration arrive avec Jeunes filles en détresse, signé de l’immense Georg Wilhem Pabst, cinéaste et producteur autrichien auquel on doit L’Opéra de quat’ sous (1931), inspiré de la pièce de Kurt Weill et Bertolt Brecht.

Puis le second conflit mondial survient. Au même titre que nombre de ses collègues, Micheline Presle continue de tourner durant l’Occupation. Mais jamais pour la Continental, le studio allemand fondé par Joseph Goebbels, ministre de la Propagande du Troisième Reich et dirigé par Alfred Greven. Mieux : elle ne participe pas au fameux voyage des étoiles du cinéma français occupé à Berlin, en 1942. Parmi les VIP de l’époque ? Danielle Darrieux, Suzy Delair, Viviane Romance et quelques autres.

À la Libération, Micheline Presle poursuit son petit bonhomme de chemin tout en empruntant ceux de traverse. On la voit tout d’abord dans Le Diable au corps (1947), de Claude Autant-Lara et inspiré du fameux roman de Raymond Radiguet, dont le scénario fait subrepticement référence aux heures les moins lumineuses de notre Histoire, puisque la faisant prendre pour amant un très jeune homme alors que son mari se bat dans les tranchées de la Grande Guerre.

Son amoureux de grand écran ? Un certain Gérard Philipe, que Micheline Presle est l’une des premières à repérer avant qu’il ne devienne l’icône qu’on sait. Ensuite, inutile de chercher une cohérence dans les films que la défunte accepte ou refuse. En bonne dilettante, elle tourne donc ce qui la séduit sur le moment. Elle tente une carrière à Hollywood, vite avortée, mais s’y déniche un mari, Bill Marshall, l’ex-époux de Michèle Morgan. Ensemble, ils ont une fille, Tonie Marshall, décédée en 2020 et future réalisatrice de Vénus Beauté (Institut) (1998), gros succès en salles. Mais son passage dans la cité des anges ne laisse pas que de bons souvenirs à Micheline Presle : « Je n’étais que la jolie Française de service. »

Les Saintes Chéries, véritable phénomène de société

Une fois revenue en France, elle tourne Le Baron de l’écluse (1960), de Jean Delannoy, film poignant inspiré d’un roman de Georges Simenon. Là, elle incarne le rôle d’une cocotte sur le retour, manifestement bien consciente que les étés de ses vingt ans commencent à prendre des allures d’hiver. D’où l’impérieuse nécessité de se faire passer la bague au doigt par un riche héritier bien sous tous rapports. Ce qui fera dire à Jean Gabin, son partenaire et ami : « Elle joue à la perfection une demi-mondaine très mondaine. »

Puis il y a Les Saintes Chéries (1965), créées par Nicole de Buron et tournées par Jean Becker. Ce sera l’une des premières séries télévisées de l’ORTF. Un véritable phénomène de société, à l’époque. Si Nicole de Buron est alors à classer dans le camp de la réaction, elle n’en dépeint pas moins les bouleversements sociétaux à venir : des Trente Glorieuses à Mai 68, il n’y a qu’un pas…

Dès lors, Micheline Presle continuera à n’en faire qu’à sa tête, n’hésitant pas à frayer, au demi-siècle passé, avec un Jérôme Savary et son Grand Magic Circus, à prêter son inimitable présence dans des films « d’auteurs » ou des comédies « populaires », tournées par Gérard Jugnot, tels Casque bleu (1994) ou Fallait pas !.. (1996).

Bref, sa longue carrière durant, elle fut toujours libre : de ses choix et de ses envies, sans jamais sombrer dans la facilité ou la vulgarité. C’est donc une grande, une très grande dame qui s’en est allée. Elle n’a pas fini de nous manquer.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

15 commentaires

  1. C’est effectivement un livre qui se referme sur une époque beaucoup plus heureuse que celle d’aujourd’hui. Epoque que les générations actuelles ignorent, et c’est tant mieux pour elles, car cela leur évite bien des regrets !

  2. Elle incarne une époque que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître, où les acteurs savaient se tenir et s’exprimer et n’étalaient ni leur vie privée ni leurs bobos.

  3. Très bel hommage de monsieur Gauthier à cette grande dame du cinema français . Nous nous rappelons des « Saintes Chéries » avec Daniel Gelin ! C’était notre génération de la TV en noir et blanc ! J’avais 9 ans alors, dans ma banlieue où tout le monde ne possédait pas la TV. J’ai toujours entendu parler de Micheline Presle avec beaucoup de respect à l’instar d’autres grandes dames du cinema de l’époque qui n’avaient pas besoin de faire du buzz pour continuer à être reconnues . Il leurs suffisait d’avoir du talent !

  4. J’ai tellement aimé les actrices que vous avez citées, cette époque du cinéma. À l’époque, nul n’était besoin de montrer des scènes de fornicatiion pour indiquer qu’un homme et une femme étaient attirés l’un par l’autre.
    Gisèle Pascal (La madone des sleepings), Martine Carol (inoubliable Nana), et tant d’autres me rendent nostalgique de cette période. Dans ces années-là, la vie n’était pas facile pour tout le monde, mais nous avions des perspectives. Finalement, nous étions tout simplement heureux. C’est en tout cas mon sentiment.

  5. Dernier dinosaure d’une engeance maintenant disparue. On cherche vainement, parmi les actrices actuelles, des stars de cette teneur et de cette qualité.

  6. Elle n’était pas QUE jolie, elle était distinguée, solaire, pleine d’humour, jamais vulgaire et pas prétentieuse ! enfin tout ce que l’on cherche vainement dans le panel des actrices d’aujourd’hui !
    Elle a pris tout son temps pour en finir avec une vie dont elle a pleinement profité avec gourmandise –
     » So long Micheline » !

  7. Seul vrai souvenir…d’enfance , pour moi de cette belle dame : les Saintes Chéries et son générique guilleret , le bon heur des années 60 : papa , maman et les enfants….la 4L des Lagarde…une si belle époque…difficile , très difficile de vivre dans celle si horrible d’ aujourd’hui !!

  8. Saluons, de plus, la grande discrétion dont cette Dame a toujours fait preuve, dans sa vie privée. Il est vrai que c’était la règle à cette époque ; une actrice s’y faisait valoir par son talent, non en couchant pour arriver, avant d’alimenter plus tard la colonne Metoo…

  9. La disparition d’une grande dame bourrée de talent qui a mené une belle carrière , gagné sa vie grâce à son talent et non aux subventions et surtout qui n’a pas eu besoin d’étaler sa vie et de faire appel à la presse à scandale pour attirer du public . Condoléances à ses proches .

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