Mettre fin à une dangereuse illusion : il faut cesser Sentinelle !
Une nouvelle fois, des soldats de l'opération Sentinelle ont été pris pour cible. Les militaires et les policiers sont régulièrement l'objet d'agressions terroristes. Le choix de l'agresseur était particulièrement pervers : il s'agissait d'attaquer des soldats dans une ville symbolique. Levallois-Perret n'abrite pas seulement des unités qui participent à Sentinelle. C'est une ville où se trouvent également la Direction générale de la sécurité intérieure et la Sous-direction antiterroriste du ministère de l'Intérieur. La ville est aussi une pionnière des polices municipales et de la vidéoprotection.
Le message est clair : la guerre continue, la menace est partout et vise particulièrement des victimes qui ont un sens - un prêtre catholique l'année dernière, des membres de l'armée française qui combat les djihadistes aujourd'hui.
On peut, bien sûr, préférer ces attaques ciblées aux carnages subis par des foules anonymes au Bataclan, sur les terrasses parisiennes ou sur la promenade des Anglais. On pourrait se féliciter d'un effet "paratonnerre" de Sentinelle. Les militaires seraient des "aimants" à terroristes. Cette idée est cynique et irresponsable. Les soldats, équipés et entraînés pour faire la guerre en professionnels (si on veut leur trouver une place dans le bestiaire symbolique) sont des chiens d'attaque et non des chèvres, qu'il faudrait par ailleurs protéger par la police là où ils vivent.
Il faut craindre, avec le retour en France des combattants "français" de l'État islamique, l'utilisation d'armes à feu par des gens sachant s'en servir. Le mot "cible" deviendra mortel ! C'est pourquoi il est urgent de s'interroger sur le bien-fondé de Sentinelle que je dénonce depuis le début comme un placebo sécuritaire, un trompe-l'œil installé par des politiciens aux abois.
Il s'agit d'un dispositif purement psychologique qui consiste à augmenter le sentiment de sécurité des Français. L'armée rassure parce que les Français lui font confiance et la considèrent comme l'ultime recours face à une menace terroriste. C'est une illusion. La réponse au terrorisme, c'est le renseignement, et l'élimination du danger à la source.
L'armée crée un effet positif dans la population. Cela reste de l'ordre du symbole et de la communication. Il y a 200.000 policiers et gendarmes et à peine 7.000 "sentinelles". Ces militaires sont formés pour participer à des opérations de guerre sur des terrains difficiles. Ils ne sont pas préparés à "surveiller" les villes françaises et sont donc susceptibles de se faire "cueillir" à l'improviste. Cette expérience est d'autant moins bonne pour le moral qu'elle prend une partie importante de leur temps. Avec Vigipirate, les militaires en passaient 5 % en opération intérieure et 15 % à l'extérieur. Désormais, ils en donnent 50 % à Sentinelle. La fatigue est réelle. Le travail n'est guère gratifiant puisque les petits incidents sont nombreux. 1.300 comportements hostiles, dont 70 % de carrément malveillants, ont été relevés entre janvier et septembre 2015 par Élie Tenenbaum, l'un des spécialistes, comme le général Desportes, Michel Goya, Florent de Saint-Victor ou Bénédicte Chéron, qui contestent la pertinence du dispositif.
Ce n'est pas la mission de l'armée, qui par ailleurs voit vieillir et se réduire ses moyens pour de vraies opérations militaires dans de bonnes conditions et non en exposant avec beaucoup de légèreté de jeunes soldats avec un matériel insuffisamment adapté. C'est la raison pour laquelle le retrait de 850 millions d'euros du budget a été mal ressenti. Les ministres qui se précipitent au chevet des blessés, les messages empathiques des politiques à l'égard de l'armée ne suffisent pas à dissiper le sentiment des militaires qu'on utilise l'armée avec une certaine désinvolture, quand ce n'est pas du cynisme, en lui donnant peu et en lui demandant beaucoup. La réaction laconique et tardive du locataire de l'Élysée est bien décevante.
Alors, rendons hommage aux soldats de Sentinelle, souhaitons un prompt rétablissement aux blessés, mais invitons le chef des armées, qui porte si bien les uniformes sans même avoir accompli son service militaire, à manifester un plus grand respect pour les serviteurs de l'État qui le servent jusqu'au sacrifice de leur vie. Invitons-le à mettre un terme à une opération "poudre aux yeux", avant qu'un soldat français ne soit tué par surprise en pensant protéger le territoire national.
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