Avec M. Blanquer, le grand retour du manuel ?

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M. Blanquer occupe une place capitale dans le dispositif de M. Macron. D'ailleurs, le même sondage (YouGov France pour Le HuffPost et CNews) qui enregistre une nouvelle chute de popularité du Président révèle, en même temps, une forte approbation des premières mesures prises par le nouveau ministre de l'Éducation.

Dans l'interview qu'il a donnée au Figaro le jour de la rentrée, au sujet de l'enjeu de la lecture au CP, M. Blanquer pointe une dérive de l'enseignement ces dernières décennies :

Dans certains cours préparatoires, j'observe que l'usage d'un manuel n'est pas systématique aujourd'hui. Or, il en faut. Devrais-je faire comme si j'ignorais cette réalité ?

Les raisons de cette marginalisation du manuel, et pas seulement au CP, mais aussi jusqu'au collège, sont connues : impossibilité de trouver le manuel idéal, usage des photocopies, du numérique, refus de céder aux incitations commerciales des éditeurs, coût pour les collectivités, poids des cartables, réformes, etc. À ceux qui étaient attachés au manuel, on a souvent opposé toutes ces raisons, couronnées par celle-ci : « Mais tu as le manuel numérique ! »

Alors, pourquoi, à l'âge du numérique, souhaiter le retour du manuel ?

Sa mise à l'écart a constitué - n'ayons pas peur des mots - rien moins qu'une rupture historique et anthropologique et, comme toujours dans ces cas-là, avant que cette rupture ne devienne irréversible, une angoisse et une résurrection ont suivi.

Le mot et la chose nous viennent des Grecs. Le plus célèbre « manuel » antique était le Manuel d'Épictète, un condensé des doctrines stoïciennes rédigé par Arrien, en 125 après J.-C. Et le terme grec Ἐγχειρίδιον, qui signifie « ce que l'on a sous la main », exprimait déjà cette dimension commode, portative et nécessaire à la construction de la personne, que reprendront le latin et les langues modernes avec notre « manuel ».

C'est que le manuel a partie liée, depuis l'origine, avec le livre, et avec la civilisation occidentale et sa passion pour l'éducation et la transmission. Toucher à l'un ou à l'autre, c'est déstabiliser cet ensemble. D'ailleurs, leur retour commun saute aux yeux dans la communication du nouveau Président et du nouveau ministre. Souvenez-vous du portrait présidentiel, et de ces "Pléiades", dont l'un était ouvert. Et de la distribution, par le ministre, du recueil des Fables.

Alors, si le numérique n'a pas réussi à supplanter le livre au point que le Président ait tenu à ce que son iPhone voisine avec des "Pléiades" dans un « en même temps » de la tradition et de la modernité, c'est que le « manuel » correspond à une dimension anthropologique fondamentale que ne peut combler le numérique, voire même qu'il abîme.

Certes, le « portable » a assumé le caractère pratique et commode du manuel et l'a même hissé à un point inimaginable, en condensant des livres, des bibliothèques avec, en plus, l'interactivité et la réactualisation permanente que le manuel ne pouvait fournir.

Mais, ce faisant, il a causé un mal dont on commence juste à se rendre compte : par cette accumulation de liens, d'échanges et de mélanges où se chevauchent SMS, agenda, lectures, travail, délires, films, etc., le portable est certes devenu un prolongement de ma personnalité, mais il a perdu la simplicité et la clarté du manuel qui, tout en étant un prolongement de moi, gardait une certaine altérité clairement identifiée et ordonnée : c'était mon livre de lecture, mon "Pléiade" préféré, mon recueil de poèmes. Le manuel est bien l'un des accès privilégiés à la transcendance. Quand j'ai rendez-vous avec lui, c'est à un rendez-vous marqué à la fois par la singularité et l'altérité que je suis appelé, et pas avec mon moi divers et mélangé.

Alors, des manuels, oui, « il en faut », surtout pour des époques et des esprits confus. Et si nous avons vraiment le souci de transmettre notre langue, notre littérature et notre culture, le « manuel de lectures » devrait être une obligation. Et pas qu'au CP.

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