Livre / Parlementaires morts pour la France : 1914-1918

Christophe Soulard, votre dernier livre évoque les parlementaires - ils sont au nombre de vingt et un - tombés au champ d’honneur pendant la Grande Guerre… certains étaient connus, d’autres moins. Par un rapide portrait, vous sortez de l’oubli chacun d’entre eux. D’autres guerres ont-elles provoqué une telle hécatombe dans l’Hémicycle ?

Oui, une autre guerre en France a provoqué une importante saignée parmi les parlementaires français, députés et sénateurs confondus : la Seconde Guerre mondiale. On compte ainsi plus de trente députés déclarés morts pour la France. Mais les raisons pour lesquelles ils ont disparu sont totalement différentes. Quasiment aucun n’est mort les armes à la main en combattant son pays, notamment en raison de l’armistice du 22 juin 1940. Entre 1940 et 1945, la plupart sont morts tués par l’ennemi en déportation, sous la torture, certains sont guillotinés ou fusillés.

Entre 1914 et 1918, la situation est différente. Les députés, au même titre que n’importe quel autre homme en âge de porter les armes, sont mobilisés. En tout, ce sont environ trois cents députés et une dizaine de sénateurs qui prennent part, de près ou de loin, aux combats. Tous sont animés par l’esprit de revanche. Mais bien vite, la plupart se retranchent derrière le vide juridique qui entoure leur statut, car s’ils sont mobilisés, ils peuvent choisir entre l’uniforme et la Chambre. Nombreux sont ceux qui restent au palais Bourbon et au plais du Luxembourg. Et puis les militaires d’active les voient arriver, pour beaucoup, d’un mauvais œil. Surtout quand les députés deviennent presque automatiquement officiers, en raison de leur état de parlementaire. Beaucoup reviennent siéger parce qu’ils sont blessés. C’est notamment le cas d’André Maginot, grièvement blessé le 9 novembre 1914 et qui est inapte au combat. D’autres décident de rester dans l’armée, à l’instar d’Adolphe Messimy, qui entre comme capitaine de réserve en 1914 et termine la guerre au grade de général. Cependant, vingt et un d’entre eux, dix-huit députés et trois sénateurs, y perdent la vie dans des circonstances différentes.

Ce livre, en creux, semble souligner l’écart abyssal qui sépare ces élus, au sens du devoir aigu, de leurs successeurs d’aujourd’hui qui, pour certains, peinent à dire du bout des lèvres ne serait-ce que « Vive la France »…

L’esprit de l’époque est totalement différent. Le patriotisme, en 1914, est une vertu cardinale partagée par tous, quelles que soient leur origine sociale, leur fortune, leur religion, leurs opinions politiques. Qui, aujourd’hui, parmi les neuf cents parlementaires, irait se battre pour son pays, irait jusqu’au sacrifice suprême pour défendre son territoire et ses valeurs, y compris dans des contrées hostiles ? Deux, trois, quatre à la rigueur ? Je crains que ceux de La France insoumise ne bougent pas le petit doigt pour le drapeau français. Ils préfèrent la révolution, la lutte des classes, le drapeau rouge et l’oppression à une guerre et une cause justes, aux racines chrétiennes de la France ou à la défense de la langue française. Les parlementaires de 1914 avaient foi en la France, en ses capacités, en ses hommes capables de tout sacrifier pour elle pour conserver leur liberté. Aujourd’hui, peu de parlementaires semblent mus par cet esprit d’abnégation personnelle et de conquête patriotique.

Vous les réunissez, toutes couleurs politiques confondues, dans le même hommage. Et dans les faits, en lisant votre livre, on comprend que la discorde de l’Hémicycle cède la place à la fraternité d’armes dans les tranchées. Vous citez Abel Ferry, neveu de Jules, qui s’inquiète auprès de son épouse du sort d’Émile Driant, aux options politiques pourtant radicalement opposées. Aucun des deux, d’ailleurs, ne remettra les pieds à l’Assemblée…
À la différence de ceux d’aujourd’hui, ces parlementaires que tout semblait séparer n’étaient-ils pas, en réalité, unis par un même amour du pays, un amour prêt à tout sacrifier ?

Assurément, l’amour de la patrie, au-delà des oppositions politiques parfois radicales entre certains parlementaires, importait le plus. S’ils pouvaient s’écharper dans l’Hémicycle, les députés qui avaient connu les tranchées, les rats, la boue, l’odeur des cadavres et de la poudre, le bruit de la mitraille étaient des frères de combat. Ils avaient enduré les mêmes souffrances, vu certains de leurs camarades, de leurs soldats disparaître.
Le plus bel exemple de cette fraternité d’armes est, bien évidemment, celle de Ferry et Driant, deux opposés acharnés mais qui se respectaient parce qu’ils partageaient la même vision d’une France libre, indépendante et rayonnante, recouvrant des frontières d’avant 1870. Tous deux, avec des parcours différents, ont connu la guerre. Le premier, neveu du président du Conseil, Jules Ferry, était capitaine d’infanterie. Le second, ancien d’active, député bonapartiste et gendre du général Boulanger, reprenait du service à 55 ans malgré son exemption d’office en raison de son âge. Le jour de sa mort, le lieutenant-colonel Driant commandait les 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied. C’est à son intelligence mais aussi à son sacrifice et à celui de ses hommes que l’on doit une résistance héroïque au bois des Caures, lors de l’offensive de Verdun le 21 février 1916. Abel Ferry a été, quant à lui, fauché par un obus en même temps que le député (et capitaine) Gaston Dumesnil en septembre 1918, lors d’une inspection sur le front.

Quels que soient les parcours personnels et politiques des vingt et un parlementaires morts pour la France, leur sacrifice n’a pas été vain et un siècle ou presque après la fin de la guerre, nous leur devons beaucoup. Ils restent à jamais des exemples.

Entretien réalisé par Gabrielle Cluzel

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