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Le temps passe. Naguère, Patrick Eudeline était le petit prince des nuits punk parisiennes. Aujourd’hui, à la manière de l’oncle Paul dans le Spirou de jadis, c’est dans le mensuel Rock & Folk qu’il raconte aux enfants émerveillés comment c’était avant. Comment c’était « mieux » avant ? Non. En effet, ce musicien, également journaliste et écrivain, est plus porté sur la rêverie mélancolique que la nostalgie ressassée. La nuance est de taille.

Noir, c’est noir. Tel autrefois les blousons. Là, dans ce onzième ouvrage, Les Panthères grises, l’heure serait plutôt au clair-obscur et aux courbatures. Guy et Didier sont deux vieux rockers fatigués. Elle est loin, l’époque de l’éphémère quart d’heure de gloire de leur groupe, les Moonshiners. À défaut de bâtir une carrière « durable », tel que dit maintenant, au moins se sont-ils construits des souvenirs.

Nos deux zigomars sont donc passablement dépassés et le savent mieux que personne. Internet n’a pour eux que des secrets. Ils n’entendent rien au MP3 et à Deezer, pas plus qu’aux musiques électroniques. Pour eux, le rock sentira éternellement le cuir et la sueur. Ils rêvaient de Woodstock, de bruit et de fureur. Les jeunes générations, elles, en pincent désormais pour le pavillon en carton et le barbecue dominical, les hululements de Camille, la vie saine et la bouffe allégée, la République en marche et l’injection quotidienne de moraline. À peine arrivés sur le marché du travail, voilà qu’ils songent déjà à la retraite, les bougres…

On l’aura compris, Patrick Eudeline ne donne pas dans le jeunisme. À l’instar de ses personnages, il est lui aussi un rocker poursuivi par la date de péremption. Prendre de l’âge est une autre forme d’art. Savoir durer, c’est aussi persister dans l’être.

Alors, que faire ? Un ultime coup de folie, un peu comme on prendrait le dernier verre ? Tentant. Bien tentant… Surtout à en croire un voyou, lui aussi plus véritablement de prime jeunesse. Facile et sans risque. En un peu plus de trois minutes, c’est plié. Au siècle dernier, les chansons des 45 tours ne duraient pas plus longtemps : un signe. On ne déflorera pas la suite, histoire de ne pas jouer les gâte-sauces ; car les pérégrinations d’arpètes de cet acabit, ça ne pousse pas sous les boots de la première haridelle venue.

Et, tout au plus, consentirons-nous à dire que dans tout ce bouzin vient se glisser un dinosaure gauchiste de l’espèce pénible et persistante. Encore un qui a tout raté, mais qui refuse de l’admettre, fût-ce avec le sourire en coin et un brin d’autodérision, au contraire des deux autres loustics. Dans le registre de la cruauté réjouissante, la description du bonhomme et de son itinéraire navrant devrait être assez ardue à égaler.

Histoire d’aggraver son cas, Patrick Eudeline, amoureux d’un Paris n’existant plus depuis belle lurette, dresse ici le portrait d’une autre époque ; avant que la France ne passe en mode 3D et 2.0 et que les noctambules de la capitale ne troquent 2CV ou Aston Martin contre Vélib’ et trottinettes électriques. Roman réactionnaire ? Un peu ; mais désenchanté, beaucoup. Évidemment, l’auteur a l’écriture aristocratique ; tant il porte le Perfecto et la chemise à jabot à la façon de ces muscadins d’autrefois arborant velours, canne et dentelles.

Au final, ça se lit d’une traite, comme on dévorerait La fête est finie, l’un des derniers livres d’Olivier Maulin, son alter ego rural. Désolé de n’avoir pas trouvé meilleur compliment. C’en est un, pourtant. Le plus beau qu’on puisse faire au très citadin duc d’Eudeline qui comprendra, assurément.

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10 septembre 2017 à 22:53

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