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Où se trouve le sacré aujourd’hui ?

À l’heure où la société se réclame d’une laïcité à toute épreuve, la question se pose. Deux philosophes, Thomas Molnar et Alain de Benoist, l’un hongrois, l’autre français, tentent d’y répondre à travers un débat contradictoire tout au long de cet ouvrage de haute volée – initialement publié en 1986, Molnar étant décédé en 2010 – sur la nature du religieux et de son effacement contemporain.

Leur disputatio, aussi savante qu’inspirée et profonde, et bien que divergente, aboutit néanmoins à un constat similaire : la modernité comme système idéologique se montre impitoyablement destructrice de toute sacralité.

En 1947, dans La France contre les robots, Georges Bernanos livrait déjà un diagnostic similaire, lorsqu’il écrivait que l’« on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ».

Quant à la philosophe Simone Weil, elle constatait que le sacré, sous l’influence du mouvement personnaliste, avait une propension à ne s’attacher qu’au théâtre superficiel de notre humanité limitée et contingente, là où elle considérait, au contraire, qu’il résidait dans l’homme en son infinie simplicité : « Il y a depuis la petite enfance jusqu’à la tombe, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l’expérience des crimes commis, soufferts et observés, s’attend invinciblement à ce qu’on lui fasse du bien et non du mal. C’est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain » (La Personne et le Sacré, 1943).

La décadence d’une société se juge à la manière dont cette dernière tente de s’extirper du sacré. Si Roger Caillois (L’Homme et le Sacré, 1988) voyait dans la succession de l’ordre et du chaos un prétexte à un retour du sacré, Marcel Gauchet estimait pour sa part que le « désenchantement du monde » provenait précisément de ce que le christianisme s’était structurellement désinvesti du monde, la sacralité du religieux ayant été sortie du monde en même temps que le religieux (Le Désenchantement du monde, 1985).

Cette liquidation du religieux, parce qu’elle a eu pour corollaire de porter un coup au sacré, n’a pas eu pour effet de réintroduire le sacré ailleurs que dans le monothéisme de la Révélation, sauf à considérer qu’il se serait désormais transporté au cœur de l’islam. À s’en tenir à ce mouvement translatif, l’on s’illusionnerait à grand frais dans la mesure où le sacré est (ou n’est pas), sans qu’il puisse dépendre de l’arbitraire ou des modes.

Thomas Molnar l’affirme, d’ailleurs, sans ambages : « Non, on n’invente pas le sacré, au sens d’une invention individuelle, celle, par exemple, de l’ampoule électrique ou du transistor. Le sacré surgit de je ne sais quelle conjonction entre Dieu et l’univers humain. »

Mais, précisément, parce que Dieu a été évacué de l’univers humain, ou peu s’en faut, le sacré a corollairement déserté, à moins que cette éclipse ne soit plutôt la conséquence d’un enferment de l’homme moderne sur (à) lui-même…

Gageons, pourtant, que nous retrouverons le sens (et l’essence) du sacré, à l’heure où tout un chacun revendique pour lui-même un droit, que Simone Weil, encore, tenait pour une obligation impérative, le respect. Alain de Benoist nous invite ainsi à « “se mettre en chemin”, et d’abord retrouver ce sens du sacré fait à la fois de respect et de sympathie pour l’amicale présence ».

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20 février 2022 à 13:15

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11 commentaires

  1. Retrouver le sens du sacré…. Réflexion spirituelle intéressante, pour qui pense l’avoir perdu ….
    La sagesse étant de savoir encore distinguer sacré, religion et laïcité dans une société de plus en plus matérialiste et despiritualisee.

  2. Puisqu’il n’y a plus de père, ni de mère, ni de famille, rien que du vide, comment croire en Jésus fils de DIEU depuis l’Éternité, fils de Marie pour notre salut, DIEU lui même incarné qui nous ouvre l’accés à DIEU, Notre Père, notre Père, le seul le vrai qui nous reçoit comme nous sommes, celui qui est dans les cieux…..l’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole de DIEU…Je sais, je suis un vieux con mais « ni Dieu ni maitre » pas le Dieu et les maitres que l’on nous propose !

  3. La mort du Sacré ? c’est surtout la mort du Mystère. Le Mystère est une invitation mais aussi une offrande à l’Espérance. « Plus je sais, moins je sais »dit l’intellectuel dans son humilité intime tant Etre est grandiose, vaste, déroutant. Regardons autour de nous, tous de faire, tous d’agir mais Etre, en soi-même, en son Silence ! Quelle merveille, que d’interrogations ? Etre ? Donner, offrir, partager sa propre part de Sacré, ainsi va l’humain s’il le veut bien.. Débat sans fin….

  4. J’aime beaucoup Alain de Benoist, et je conseille la lecture de « Comment peut-on être païen ? ». Pour Gauchet nos problèmes viennent du christianisme, lequel a combattu le culte païen des ancêtres, et, avec sa doctrine du péché originel, il implique que notre généalogie est spirituellement toxique, et que nous devons en être purifiés en naissant de nouveau « par le sang du Christ » dans le baptême. La vénération païenne des ancêtres implique au contraire une fierté de son origine ethnique.

  5. Le sacré c’est ce que l’on respecte absolument, le dieu devenu homme en Jésus a rendu la vie humaine sacrée, c’est ce qui fonde notre civilisation, celle des droits de l’homme. Le sacré n’est pas forcément religieux.

  6. Je me souviens, au tout début de ma carrière de formatrice, lorsque je parlais du concept de douleur totale de Cecily Sanders, que je n’avais aucune difficulté à parler de la douleur spirituelle (en cas de maladie grave ou en fin de vie).
    A la fin ( 2016), il a fallu, tant mes « élèves » (infirmiers, aides soignants, médecins…) hurlaient de voir la laïcité bafouée, que je parle de douleur « existentielle…. bien qu’ expliquant que C Sanders parlait bien de spirituel, issu du mot esprit.

  7. Née après la Guerre de parents athées, j’ai toujours eu la nostalgie du sacré, sans toutefois me reconnaître dans les rituels traditionnels qui laissent peu de place à l’inspiration…
    Je pense que la spiritualité chrétienne est à restaurer, comme on restaure un tableau de maître encrassé par la fumée des cierges afin de lui restituer sa lumière.
    Il faut retrouver en Jésus la dimension du rebelle qui a brisé des siècles de dogmatisme par refus du mensonge…

  8. La crise actuelle met en exergue la disparition du sacré et de Dieu. La peur irraisonnée des populations, le ramollissement sidérant des cerveaux ont permis aux Matérialistes de tenter d’imposer un monde hideux. Mais ils ont échoué et je croix que le sacré reviendra en force, autrement que par les religions actuelles qui ont déserté à l’image du Catholicisme.
    Je crois que les populations occidentales sont en recherche du Dieu sacré et non d’un Dieu betifiant.

  9. « La décadence d’une société se juge à la manière dont cette dernière tente de s’extirper du sacré » Au moment où le christianisme devient religion d’état en Europe, la société tombe dans le moyen âge, près d’un millénaire où il n’est fait aucun progrès, où la condition humaine est misérable, et où on prie faute de pouvoir se soigner, où on accepte un pouvoir et un droit inique légitimé par un dieu qui n’existe pas, etc… Plus une société se libère des croyances, plus elle progresse.

  10. La plus grande calamité a été l’avènement du téléphone mobile et de ces applications multiples qui ont isolé l’individu; puis FB et les autres réseaux sociaux similaires qui ont ouvert une fenêtre de pseudo-liberté qui a en fait refermé le monde réel pour se transformer en un monde imaginaire, virtuel dans lequel l’individu s’est fait roi, héros, invincible, dieu. Le voilà le nouveau dieu, le sacré, qui a été construit dans ce monde virtuel ou chacun peut se prétendre dieu.

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