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En lisant le dernier essai de Louis-Christian Gautier, Francophobie et anglophobie à travers les siècles, tout cinéphile averti aura sans doute encore en mémoire le célèbre film de Georges Lautner dialogué par Michel Audiard, Les Barbouzes, dans lequel, la voix « off » du début se perd en conjectures savantes sur l’agitation meurtrière qui s’est soudainement emparée des espions et contre-espions des cinq continents, tous rivalisant d’imagination pour écarter définitivement leurs concurrents : "Dans la nuit du 13 au 14 septembre 1964, le monde vivait en paix. Et qui, au cours de cette nuit, appuya le premier sur la gâchette ? Qui recassa le vase de Soissons ? Bref, qui donna le premier coup de pied au cul ?"

À lire Louis-Christian Gautier, l’on se perd itou dans un maelström d’abyssales interrogations quant à la genèse de l’œuf anglais et de la poule française, à moins que ce ne soit le contraire ou inversement…

Historien de profession, l’auteur commence par exhumer le tragique épisode au cours duquel un officier français, Coulon de Jumonville, trouva la mort, aux environs de l’actuelle Pittsburgh, sous les balles d’un détachement anglo-indien alors commandé par un certain George Washington. C’était le 28 mai 1754. C’est dans cet événement anecdotique que Gautier décèle la source de l’anglophobie française, à l’origine de la fameuse guerre de Sept Ans.

Les belligérants se livreront surtout à une intense guerre de propagande, la première du genre, où chacun rivalisera de qualificatifs haineux et de libelles véhéments qui alimenteront, de part et d’autre de la Manche ou de l’Atlantique, une solide inimitié réciproque.

Outre-Atlantique, les héritiers des Pilgrims Fathers ne furent (ne sont ?) pas en reste. S’appuyant sur le pamphlet Maudits Français ! Trois siècles de relations tumultueuses entre la France et l'Amérique, du journaliste John J. Miller et de l’universitaire Mark Molesky, immense succès de librairie publié en 2008, Gautier n’a aucune peine à démontrer que la « francophobie » est un sport de combat rhétorique national aux États-Unis qui, adoptant une conception littérale et étroite de la doctrine de Monroe, firent systématiquement grief à notre pays d’avoir toujours combattu les intérêts américains, c’est-à-dire la « Weltanschauung » de « l’Amérique-Monde ».

Lucide et impartial, l’historien analyse le « dossier d’accusation » américain violemment instruit à charge contre la France, de Montcalm (à l’exception de La Fayette) à celle des deux Napoléon, jusqu’à de Gaulle et Chirac, comme "“le retour du refoulé” auquel il faut faire face après plus de deux siècles d’illusions appuyées sur une lecture sélective de l’histoire des rapports franco-américains".

Opportunément accompagné de la réédition de l'ouvrage Les Anglais et nous, témoignage de première main du collaborationniste Jean Luchaire (qui explique comment l’action délétère et séculaire de l’Angleterre à l’égard de la France nuira aussi bien au rapprochement franco-allemand que ce digne héritier d’Aristide Briand appelait fiévreusement de ses vœux), cet essai est particulièrement éclairant à l’heure de la diplomatie macronienne qui, s’inscrivant dans le suivisme aveugle de ses prédécesseurs à l’égard de Washington, se refuse à voir combien le ressentiment de la thalassocratie anglo-américaine à l’égard de la vieille Europe continentale est structurellement indissociable de la géopolitique de celle-là au point de suspendre celle-ci à un état permanent de guerre larvée. À méditer.

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18 juin 2018 à 7:42

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