L’identité et la force des choses

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La politique est comme un miroir déformant, flou, reflétant le paysage qui fuit derrière nos épaules. L'illusion politique se nourrit de schémas de pensée désuets, de catégories usées jusqu'à la corde, d'un vocabulaire stéréotypé dégoté dans une brocante à causer. En outre, la farce démocratique, qui agite des générations d'histrions depuis quelques siècles, soulève des croyances qui ont plus à voir avec la religion qu'avec la rationalité.

Il faudrait rappeler certaines vérités naturelles : les hommes pensent faire l'Histoire, mais ils ne savent pas quelle Histoire ils semblent faire et, du reste, c'est plutôt l'Histoire qui les fait. La force des choses contraint. Si l'on jette un regard sur le passé de l'humanité, on s'aperçoit que l'évolution des structures étatiques et, parallèlement, des représentations profondes, anthropologiques de soi ont servi de cadre à l'action politique qui a été obligée, à échéance, de se mouler dans le nouvel ordre. Les aristocrates du Sénat romain, malgré une résistance sporadique, ont été obligés, parfois manu militari, de se plier à un Empire qui devait s'adapter aux espaces immenses conquis par la République. La monarchie chrétienne était la forme prise par l'adaptation à une hiérarchie fondée sur les rapports féodaux.

Qu'est l'homme d'aujourd'hui ? Si l'on évacue le fatras des discours d'antan, et si l'on remise dans un tiroir les cartes postales « identitaires » sur la « France éternelle », qui ont plus de relations avec le tourisme culturel tel qu'on le pratique à Versailles qu'avec une véritable pensée, on s'aperçoit que l'Homo consumens, éclaté, sans racines, livré aux spasmes de la marchandise, intoxiqué par la publicité et la bien-pensance, néanmoins empoisonné par le ressentiment, par des haines extatiques à géométrie variable, est mûr pour un gouvernement transnational qui se proposera de régir son mal-être. Que cette « gouvernance » ne soit pas monolithique, qu'elle souffre des disparités, des contractions même, qu'elle se présente par exemple sous une variante nationale-libérale (Salvini, Vox, Marine Le Pen), et même qu'il y ait, dans le monde, des régions où elle prend les colorations des civilisations anciennes (le libéralisme orthodoxe, comme il y a le libéralisme évangéliste ou le libéralisme confucéen) ne changent rien à l'affaire. Le monde d'hier est définitivement disparu et rien ne le fera renaître. Il suffit de voir et d'écouter autour de soi pour s'en convaincre. Les gilets jaunes ne sont, d'ailleurs (puisqu'il faut évoquer la prétendue « rébellion ») que la protestation de gens qui veulent une plus grande part du gâteau marchand.

Le seul problème est de savoir s'il y a encore une place pour l'humanisme véritable, la pensée vraie, la culture, la sensibilité et la profondeur. À mon avis, ça va être difficile de trouver un abri pour préserver l'être.

Claude Bourrinet
Claude Bourrinet
Professeur de Lettres

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