Lettre à l’Afrique sur sa monnaie : post-scriptum

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Une nouvelle grande campagne d'opinion a été orchestrée en 2017 contre le franc CFA et nous avions, dans ces colonnes, donné toutes les raisons de ne pas souscrire aux très faibles arguments proférés en vue d'une dangereuse modification du statu quo. Or, voici que l'on en sait plus sur les arrière-pensées cachées de cette campagne et, peut être, sur qui en est l'instigateur.

Les menées anti-CFA ont longtemps exploité le besoin légitime, pour les opinions africaines, de se sentir affranchies du passé colonial. Mais nous avions démontré que quelques mesures techniques simples permettraient d'améliorer le CFA et de corriger cette image fausse de survivance coloniale ou d'outil néocolonialiste qui lui a été faite. Quelques idées en apparence décousues : la France, qui a subi trois guerres d'agression qui lui ont causé des millions de morts et une occupation sauvage de cinq ans, a repris néanmoins des relations presque normales (voire artificiellement enthousiastes ou serviles) avec l'Allemagne. Et la Russie, encore plus barbarement martyrisée, aussi. Un des plus grands intellectuels africains, notre ami le doyen Francis Wodié, répondait à ses étudiants qui voulaient ramener tous les problèmes du continent aux fautes du colonisateur : "Nous avons été colonisés parce que nous étions colonisables ; fin de la discussion." Enfin, nous citerons le vieil adage légué par les médecins grecs antiques, et toujours vrai : "D'abord ne pas nuire." En d'autres termes : ne changer de monnaie qu'à condition que le remède ne soit pas pire que le mal. Or, bien peu se sont posé la question du remède. Mais voici ce que l'on peut désormais en comprendre, et surtout du laboratoire où se fabrique ce "remède".

Tout ceci a bien peu à voir avec Savorgnan de Brazza ou Louis-Gustave Binger. Après les décolonisations pacifiques des années 60, l'Afrique francophone s'organisa économiquement et politiquement dans le cadre de deux unions: l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine, huit pays) et la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale, six pays). Chacune avec une monnaie similaire mais pas encore parfaitement échangeable : les deux francs CFA. On ne se souvient plus précisément par qui et surtout pourquoi cette construction, certes perfectible mais qui fonctionne, a été vouée à disparaître (sans doute une instruction donnée par Bruxelles). Toujours est-il que, à un terme non fixé, la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, seize pays membres) doit se substituer au système francophone actuel. Or, la CEDEAO, qui s'arroge souvent des pouvoirs politiques qui ne sont pas les siens, pâtit intrinsèquement d'un manque de cohérence qui en fait une structure sans avenir, pour quatre raisons principales. Elle est très étendue sur un continent où les communications diagonales aériennes et terrestres sont si difficiles. Elle est hétéroclite sur le plan du droit car s'y trouvent des législations de type islamique, continental (de culture française, portugaise, espagnole) et common law. Elle est écartelée sur le plan politique car le Maroc, qui n'a adhéré qu'en 2017, fait aussi partie d'autres unions politiques. Enfin - but not least -, au milieu de pays en voie de développement parfois petits, très pauvres et peu peuplés figureront deux géants économiques : le Maroc et le Nigeria. Et le Nigeria est aussi un géant démographique et linguistique de 200 millions d'anglophones sur les 310 de la zone !

Pour tenter de rendre crédible ce projet politique aberrant et inefficace - et donc dangereux -, les institutions de Bretton Woods et leur relais bruxellois se sont mis en tête d'affubler cette chimère d'une monnaie unique. Voilà donc la vraie raison des attaques contre le CFA : lui substituer un outil de vraie domination euro-américaine : la global financialization.

Réunis en sommet le 24 octobre dernier à Niamey, les États de la zone CEDEAO ont confirmé leur volonté de faire monnaie commune (en réalité monnaie unique), mais en ont retardé encore l'échéance (Le Point Afrique - AFP) : "Les économistes sont divisés sur les coûts et les bénéfices du franc CFA, la monnaie unique devrait mettre fin à son usage [...] les chefs d'État de la zone ont finalement admis que la création d'une monnaie unique ne sera pas possible pour 2020."

D'ailleurs, le président nigérian Buhari a lucidement et fermement exprimé sa réticence à l'égard d'une devise unique. Dans un communiqué séparé (!), il a invité ses collègues à "avancer avec prudence vers l'intégration", visant explicitement les déboires de l'euro et les importantes disparités économiques entre les pays membres. Enfin, et nul n'a songé à le signaler, les six pays de la CEMAC qui utilisent le CFA seraient exclus du processus CEDEAO et se retrouveraient coupés du reste de l'Afrique francophone. Vite, au lieu de tuer le CFA, guérissons-le de ses maladies...

Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

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