Le vrai visage de l’anticomplotisme

complot

De façon lancinante, les médias, les politiques, la classe intellectuelle dénoncent le redoutable danger des « complotistes ». Ceux-ci sont partout et mettent en péril la démocratie, la santé, la science, le climat, les droits des minorités, le vivre ensemble.

Pour ceux qui combattent le « complotisme », donc les personnes raisonnables, instruites, lucides, compétentes, modérées, objectives, les récents événements négatifs sont le fruit de ce « complotisme » : le Brexit, l’élection de Trump, celle de Bolsonaro et d’Erdoğan, l’attaque du Capitole de Washington, l’action de Poutine, le dérèglement climatique, le fléau du tabac, la malbouffe, la droitisation de la société, que sais-je, la défiance vis-à-vis de la vaccination.

Selon cette opinion dominante, il y a donc convergence d’un petit nombre d’individus (genre le mystérieux « Monsieur QAnon » sur Internet), très organisés, qui poursuivent un but précis, à savoir attaquer la démocratie et empêcher l’émergence du monde nouveau de la paix et du bonheur. Ces individus très malins infiltrent les médias, agissent derrière certains gouvernements mais, surtout, possèdent une maîtrise incroyable des réseaux sociaux, manipulant leurs algorithmes avec dextérité et entraînant à leur suite, grâce à quelques messages rédigés dans une langue approximative et agrémentés de photos floues, des masses de personnes inconscientes des terribles implications de leurs théories « complotistes ».

Ce descriptif du « complotisme », que nous lisons à longueur de pages dans les médias de référence, nous fait penser à quelque chose, mais à quoi ? Nous l’avons sur le bout de la langue, sans pouvoir l’exprimer. Bon sang, mais c’est bien sûr ! Dans cette affirmation, par les « sachants « et les « raisonnnables », de l’efficacité extraordinaire du « complotisme », nous avons tout simplement l’expression d’une compréhension du monde et d’une rhétorique… « complotiste » ! Ce qui est, avouons-le, quelque peu ironique.

En effet, d’après les « sociologues » spécialistes du « complotisme », est « complotiste » celui qui estime que tout s’explique par une cause unique. Cette cause unique serait un « complot », c’est-à-dire la convergence organisée d’un petit nombre d’individus poursuivant un but précis. Ce petit groupe, pour parvenir à ses fins, tirerait les ficelles d’un certain nombre d’institutions (médias, gouvernements, réseaux sociaux, etc.), manipulerait l’opinion, orienterait les débats, forcerait les décisions. Bref, pour le « complotiste », « une main cachée » dirigerait le monde avec une redoutable efficacité, et rien ni personne ne pourrait l’arrêter, tellement ceux qui agissent dans l’ombre sont malins, puissants et bien organisés.

Mais en fait, ce qui existe réellement, c’est un immense complot pour accuser les malheureux « complotistes », ou du moins ceux que l’on désigne comme tels, d’avoir des pouvoirs surhumains, divins ou diaboliques. Ainsi, les « complotistes anticomplotistes » répandent la rumeur que Trump, par la seule puissance de son verbe, aurait réussi à se faire élire au nez et à la barbe de l’establishment, sans qu’aucune condition objective (politique, sociale, économique, culturelle, identitaire, etc.) n’explique ce résultat magique. Boris Johnson aurait fait la même chose avec le Brexit, Poutine serait élu depuis tant d’années sans le soutien de sa population, Erdoğan dirigerait la Turquie par hasard, les hésitations sur la vaccination naîtraient en l’absence de la moindre cause. Tout ne serait que le fruit de l’immense complot des « complotistes ».

Mais puisque nous-mêmes sommes raisonnables, instruits, lucides, compétents, modérés, objectifs, nous n’allons évidemment pas croire ces allégations « complotistes ».

 

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Alexandre Dumaine
Journaliste, écrivain

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