Le roman de l’été : La Reconquête (6)

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Le lendemain, Trappes

– Akim, n’y va pas, je t’en supplie !

– J’y vais, Léa, je dois y aller. Ça doit cesser, ça fait 50 ans que ça dure, on va leur montrer qu’on ne se laissera plus faire. C’étaient des enfants, Léa, ça aurait pu être les nôtres. Et tu voudrais que je cautionne ça en restant dans mon canapé ?

Akim avait un bon travail, il était numéro deux d’un immense magasin de bricolage à la périphérie de la ville. Il était travailleur et avait une stabilité financière suffisante pour partir de la cité, mais ils y étaient bien, sa famille et lui. Ils connaissaient tout le monde. Ou presque. Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes arrivaient du Maghreb ou du Proche-Orient. Il y avait de nombreuses arrivées depuis des décennies, mais cela faisait dix ans à peine qu’Akim avait pris conscience que ces jeunes ne voulaient pas s’intégrer. Ils traînaient, tenaient des discours de plus en plus radicaux, et beaucoup de ses amis les suivaient ou s’y soumettaient. Sa femme elle-même était désormais obligée de sortir voilée. Ils avaient essayé de résister mais les insultes étaient de plus en plus désagréables, leur poubelle avait été incendiée, ils avaient reçu des messages menaçants et leurs enfants étaient souvent embêtés à l’école. Ils ne voulaient cependant pas partir, ils ne voulaient pas abandonner leurs amis, moins favorisés qu’eux, et céder du terrain aux extrémistes.

Leur dispute venait du fait qu’Akim tenait à se joindre au cortège de manifestants qui allait bientôt démarrer. Il avait été ulcéré par la mort des sept jeunes…

– J’y vais, mais si ça dérape, je te promets que je reviens immédiatement, je t’aime. Il ouvrit la porte rapidement et sortit tête baissée pour ne plus voir les larmes de son épouse.

La foule était immense. Le départ du cortège se faisait place Paul-Langevin, mais toute l’avenue Henri-Barbusse était remplie. L’effervescence était telle qu’elle en devenait oppressante. Akim aperçut au loin un groupe composé de ses amis et d’un imam qu’il appréciait particulièrement. Il les rejoignit, l’imam était en train de parler d’un air inquiet, les sourcils froncés.

– …et l’imam Rachid Abou Houdeyfa est là, et je pense qu’il va parler au micro. Il s’est encore radicalisé, je le trouve particulièrement dangereux, il faut se méfier de ses propos.

– Mais pourquoi est-il là ? Il ne vient jamais à Trappes, normalement, il sait qu’on est nombreux à ne pas être d’accord avec lui. La plupart des habitants du quartier ne supportent plus ses appels au djihad.

– C’est l’UOIF qui l’a fait venir, elle est forcément derrière cette manifestation. Ils n’auraient pas pu mobiliser autant de monde en quelques heures, il y a plus de 20 événements et pages Facebook qui se sont créés à peine trente minutes après les meurtres.

– Tu es sûr qu’ils n’ont pas tout organisé ?

– Tu penses à un coup monté ? Possible, mon frère, mais même si c’est le cas, on doit montrer au gouvernement qu’on refuse que des gamins soient tués sans sommation.

À quelques mètres de là, l’imam Rachid Abou Houdeyfa discutait avec deux de ses jeunes recrues, ses gestes exprimaient son impatience et il semblait furieux.

– Vous ne reculerez pas, ça fait des mois que tout se prépare, c’est maintenant ou jamais. Allah vous bénira d’aller au combat et vous serez récompensés au-delà de vos espérances !

– Mais si les autres ne nous suivent pas ? Y a trop de kouffars chez nos frères, ils ne voient pas que la France est notre ennemi.

– Écoute-moi, Sahid, ils te suivront, ils vous suivront. Ils savent, au fond d’eux, que les infidèles doivent mourir, c’est le prophète qui le dit dans le Coran. Alors, quand vous leur donnerez l’exemple, ils vous suivront. Le cortège commença à avancer.

 

Deux heures plus tard, Trappes

Les gens couraient dans tous les sens. La cohue avait débuté lorsqu’on avait entendu des coups de feu à l’arrière du cortège, des manifestants pacifiques s’étaient alors précipités vers l’avant, bousculant tout le monde pour échapper aux possibles balles perdues ou aux affrontements avec la police. C’est alors que des groupes de jeunes radicalisés avaient commencé à brûler des voitures et à tirer en l’air avec des armes semi-automatiques. Une journaliste avait été touchée. Les CRS, de leur côté, étaient débordés, sans instructions claires, ils se contentaient de se protéger et de laisser les manifestants tout casser.

Akim, ses amis et une bonne partie des personnes présentes voulaient partir, mais cela leur était impossible. Toutes les rues adjacentes étaient barrées par des camions anti-émeute tandis qu’à l’avant et à l’arrière du cortège se trouvaient les salafistes armés qui cherchaient à se battre. Ils étaient donc contraints de suivre le cortège en attendant de trouver une échappatoire.

Finalement, un mouvement de foule fut lancé depuis l’arrière du cortège, les hommes armés situés à l’arrière se précipitèrent vers l’avant, probablement pour prêter main-forte à ceux qui attaquaient le commissariat. Des milliers de manifestants fuirent et retournèrent chez eux, mais la folie semblait s’être emparée du reste des personnes présentes. Des décennies de chômage de masse, de propagande intégriste, de bourrage de crâne médiatique expliquant que les populations issues de l’immigration étaient systématiquement des victimes, et de désespoir avaient fini par avoir raison de leur bon sens. Ils étaient donc encore des milliers, armés de branches d’arbres, de pierres et de pavés pour les plus inoffensifs, de kalachnikov et de cocktails Molotov pour les autres.

Akim comprit alors qu’une guerre civile risquait d’éclater, le point de non-retour serait franchi si des hommes d’ordinaire pacifiques étaient tués. Il n’y avait plus un Blanc, et peut-être plus un seul non-musulman, au sein de la foule déchaînée. Il courut à l’avant du cortège, saisi d’une inspiration soudaine. Il passa devant les leaders armés qui tiraient sur le commissariat et se mit face à eux en hurlant :

– Mes frères, ce n’est pas ce qu’Allah attend de nous, cessez de tirer ! Il entendit un homme hurler « khayin, khayin », ce qui signifiait « traître ». Il entendit le coup de feu qui lui était destiné, il sentit la morsure atroce du métal au moment où il pénétrait ses chairs. Il s’effondra, pria pour sa famille et mourut, tandis qu’il entendait son assassin et ses complices crier : « La police a encore tué un de nos frères, tuons-les tous ! » Un hurlement d’approbation sauvage, bestial, traversa la masse. Puis ce fut le chaos.

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