L’ambassade américaine transférée à Jérusalem pour complaire aux évangéliques américains ?

De l’étrange attelage israélo-américain, comment savoir qui est le cheval et qui fait le cocher ? La question connaît un brûlant regain d’actualité avec la reconnaissance, par la Maison-Blanche, de Jérusalem pour capitale de l’État hébreu. Depuis 1948, il y avait consensus international sur le dossier. C’était encore plus vrai depuis les accords d’Oslo de 1993, à l’occasion desquels il était stipulé que cette ville trois fois sainte avait vocation à devenir la capitale commune de deux États distincts, Israël et la Palestine, aux frontières reconnues et à la pleine souveraineté.

Ce consensus israélo-palestinien est tel qu’en 1995, lorsque le sénateur républicain Bob Dole propose de faire de Jérusalem la capitale du seul Israël, c’est le Premier ministre Yitzhak Rabin – avant qu’il ne soit assassiné par un extrémiste juif – qui repousse sèchement la proposition. Son propre porte-parole va alors jusqu’à accuser le Likoud d’être à l’origine de ce Jerusalem Embassy Act, afin de « torpiller le processus de paix ».

Ce même consensus vient manifestement de voler aujourd’hui en éclats avec le transfert, aussi unilatéral que précipité, de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem. Assez logiquement, tous les pays musulmans condamnent cette décision. À l’exception notoire de l’Arabie saoudite qui, par un de ces revirements dont l’Orient a le secret, se range désormais du côté israélo-américain, poursuivant en cela une normalisation entamée il y a quelques mois. Riyad a en effet beaucoup à se faire pardonner, entre financement de l’État islamique et propagation d’un wahhabisme de combat à travers le monde. Son opinion publique, même muselée, lui pardonnera-t-elle cette sorte de trahison ? Rien n’est moins sûr…

L’autre consensus qui se dessine, c’est celui de la quasi-totalité des autres nations représentées à l’ONU, dont l’Angleterre, de longue date arrimée aux USA, et la France, du pourtant très américanophile Emmanuel Macron. Alors, pourquoi une telle initiative susceptible de mettre le feu aux poudres dans une région du monde n’en ayant pas exactement besoin, au risque même "d’ouvrir les portes de l’enfer", tel que le craint Téhéran ?

À cela, au moins deux réponses. La première tient à la personnalité fantasque du président américain, mais surtout de la mauvaise passe dans laquelle il s’englue chaque jour davantage, entre polémiques relatives à une éventuelle implication de la Russie dans sa campagne, étau judiciaire et menaces de destitution commençant à se préciser.

La seconde tient à son proche entourage, surtout celui de l’un de ses gendres, Jared Kushner. À ce sujet, L’Orient-Le jour révèle ce jeudi matin : "S’il n’est pas particulièrement populaire parmi l’électorat juif américain, le magnat de l’immobilier cultive des liens étroits avec la communauté juive conservatrice américaine et avec le gouvernement de Benyamin Netanyahou, dont il a adopté, pendant son discours d’hier, la rhétorique. […] Jared Kushner, son gendre, est l’une des figures-clés de la politique pro-israélienne du président. Il occupe une place prépondérante dans ses relations avec la Russie et Israël. […] Donald Trump est influencé par un lobby permanent, au sein même de sa demeure."

Mais comme rien n’est décidément jamais simple, ce quotidien libanais rappelle encore que le premier groupe de pression en pointe dans cette affaire est plus chrétien que juif : "C’est plutôt aux Blancs évangéliques, qui constituent sa base électorale, qu’il cherche une nouvelle fois à plaire : 82 % d’entre eux pensent que Dieu a donné Israël au peuple juif… contre seulement 40 % des juifs américains, selon un sondage du Pew Research Center de 2013."

Les tocades de Donald Trump pouvaient éventuellement prêter à rire tant que cantonnées dans le domaine de la gaudriole. Maintenant qu’elles concernent une région se remettant à peine d’années de guerre contre l’État islamique, c’est une tout autre histoire. Le Hamas palestinien en appelle donc à une nouvelle intifada. Ils ne pouvaient décemment faire moins.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 17:40.
Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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