« L’affaire Brahim Bouarram relève d’une mystification due à l’incompétence médiatique… »

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Emmanuel Macron a rendu hommage, dans la matinée du 1er mai, à Brahim Bouarram, mort en 1995 après avoir été jeté dans la Seine par un skinhead, Mickaël Freminet. Philippe Bilger, avocat général lors du procès de 1998 consacré à cette affaire, revient sur l'exploitation politique et électorale de ce drame.

Le 1er mai comme chaque année, il y a eu un hommage à Brahim Bouarram. Cette année, c'est Emmanuel Macron qui l'a mené. Vous, vous avez voulu rétablir la vérité, comme vous l'avez dit, sur ce qui a été véritablement cette affaire.

Oui, au fond, depuis 1995, date de la mort de Brahim Bouarram, à la suite de l'initiative toujours intelligente et subtilement démagogique de Mitterrand, chaque 1er mai, il y a un hommage qui est rendu à Brahim Bouarram. En soit, ça ne me dérange pas parce que Brahim Bouarram, quelles que soient les conditions de sa mort, est une victime respectable. Ce n'est pas le problème. Simplement, lors du dernier 1er mai, après que Emmanuel Macron a rendu l’hommage que vous évoquez, j'en ai eu assez d'entendre des erreurs sur cette affaire.

J'ai voulu réagir parce que ça renvoie, d'une part, à un symbolisme qui ne veut jamais se renseigner et, d'autre part, ça renvoie à une sorte d'incompétence médiatique quel que soit le média qui est concerné. Depuis 1995, et même après le procès de 1998, jamais les médias n'ont mis en discussion la version, j'allais dire, « officielle » de Brahim Bouarram, « victime d'un commando d'extrême droite et assassinée », selon les termes utilisés. C'est donc ce double motif qui m'a conduit à écrire cette rectification.

Vous étiez l'avocat général au procès de Mickaël Fréminet, qui a été accusé du meurtre de Brahim Bouarram. Vous dites « Ce n'était pas un commando idéologique ou même la responsabilité du Front national en tant que parti ». Qu'est-ce qui s'est passé exactement ce jour-là ?

Il était clair que, avant même le procès, je sentais qu'on voulait en faire à tout prix un procès politique. C'est-à-dire un procès qui aurait clairement établi que le Front national était l'instigateur de la mort de Brahim Bouarram. Il faut bien voir qu’il y avait, le 1er mai 1995, dans la queue du défilé du Front national, quatre jeunes et skinheads. Ils n’étaient pas là par hasard, entendons-nous bien, ils étaient bien à la queue de ce défilé mais on ne pouvait pas dire qu'ils étaient gangrenés par une idéologie. C'était, entre guillemets, « des crétins ».

Lorsque Brahim Bouarram a rencontré Mickaël Fréminet (l’un des quatre), il y a eu une petite dispute, je ne sais pas pour quel sujet. Toujours est-il que Fréminet, et Fréminet seul, a poussé Brahim Bouarram dans la Seine et Fréminet ne pouvait pas savoir, au moment où il a accompli cet acte, que Brahim Bouarram ne savait pas nager.

Et lorsque le procès est arrivé en 1998, alors même que certains, et le président lui-même, le président de la cour d'assises, tenaient absolument à faire un procès politique, on a tout de suite compris, en voyant les quatre dans le box, qu'on n’était pas du tout dans un procès où l’idéologie avait eu sa part de responsabilité. On était en face d'un jeune débile, égaré et perdu, qui avait commis un acte extrêmement imprudent en projetant à l'eau Brahim Bouarram mais en ne sachant pas que celui-ci ne savait pas nager. Et donc, mon grand regret, ma grande lâcheté - et je l’ai écrit -, c’est qu’il y avait tout de même une pression politique et médiatique très forte. Au niveau des parties civiles, il y avait beaucoup de monde, beaucoup d'associations et, en quelque sorte, pour ne pas leur résister, j'ai soutenu la thèse du meurtre alors que, pénalement, la qualification la plus juste aurait été celle de « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Mais j'ai soutenu la thèse du meurtre et j'ai été suivi. J'avais demandé de 10 à 12 ans de réclusion et il a été condamné à 8 ans d’emprisonnement ce qui est une sanction tout à fait équilibrée.

Et finalement, qu'est-ce que révèle, selon vous, l'entretien de cette affaire Brahim Bouarram, notamment sur le plan électoral ?

Une mystification qui n'a jamais été battue en brèche parce qu’elle servait les politiques et les médias qui ont besoin de symboles.

Et surtout, l'extraordinaire - je reviens la-dessus -, c'est que personne, depuis le procès, n'a eu envie dans les médias de donner une version exacte, et qui ne fait pas de Brahim Bouarram une moindre victime, comprenez bien. Simplement, il n'est pas la victime de ce délire historique qu'on se plaît à définir et qui entraîne tous les 1er mai un hommage à ce malheureux qui est mort dans les conditions que je viens d'indiquer.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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