« La France a une part d’Afrique en elle » : mais quelle part ?

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Comme toujours, Emmanuel Macron en fait trop et pas assez en même temps. Le 15 août, à l’occasion du 75e anniversaire du débarquement en Provence, il a déclaré que « la France a une part d’Afrique en elle ». D’aucuns diront qu’effectivement, la France a sa part d’Afrique, toute sa part, et que, du reste, on pourrait en rester là, aujourd’hui. En retour, l’on pourrait dire aussi que l’Afrique a sa part de France.

Bien évidement, le Président voulait évoquer la part déterminante des troupes venues d’Afrique dans la libération de la France. Mais comme toujours, chez Emmanuel Macron, il y a une part d’ignorance en lui. Une ignorance qui est d’ailleurs à l’image de celle de beaucoup, pour ne pas dire d’une majorité de Français. Ignorance, du reste, entretenue, durant des décennies, par la propagande anticoloniale, pour ne pas dire antifrançaise. Quand le président de la République invite les maires de France à nommer des rues au nom des soldats africains, oublie-t-il le nombre de rues, avenues, boulevards, places qui portent le nom du maréchal Alphonse Juin, né à Bône, département de Constantine en 1888, et dernier maréchal de France à avoir porté le bâton semé d’étoiles ? Alphonse Juin appartenait à ce petit peuple pied-noir d’Algérie qui paya un lourd tribut, durant la Seconde Guerre mondiale. Il fit pratiquement toute sa carrière dans ce qu’on appelait alors l’Armée d’Afrique et contribua grandement à redonner sa gloire aux armes de la France.

L’historien Benjamin Stora, peu soupçonnable de complaisance avec la colonisation, écrivait en 1995, dans la revue TDC (Textes et documents pour la classe), un article très intéressant « sur la part importante par les Africains dans la lutte contre le nazisme et la libération de la France ». Article dans lequel il donnait des chiffres, des pourcentages. « L’Afrique du Nord connut un effort de mobilisation considérable : la contribution “française” et “musulmane”, pour reprendre la terminologie de l’époque, atteignait respectivement 176.500 et 230.000 personnes sous les drapeaux au 1er novembre 1944. » Les troupes musulmanes étaient donc effectivement majoritaires. Mais Stora va plus loin, expliquant que les soldats « français » représentaient 6 % de la population des pieds-noirs, et pour bien marquer les esprits, il ramenait ce chiffre à ce qu’aurait été une mobilisation de cette ampleur parmi la population métropolitaine (la France comptait, alors, 40 millions d’habitants) : 6 millions de soldats, alors que l’armée française, en 1945, ne compta au mieux que 500.000 hommes… Quant à l’effort de mobilisation pour les musulmans, il ne fut, toujours selon Stora, que de 1,6 % de la population. De quoi relativiser. Mais à écouter les discours en trompe-l’œil ou à voir certains films (pensons à Indigènes), on a parfois le sentiment d’une tout autre réalité.

En fait, l’armée du général de Lattre, qui débarqua en Provence en août 1944 et issue en grande part de l'Armée d'Afrique, était une armée mixte. Comme l’écrivit Philippe Masson, dans son Histoire de l’armée française de 1914 à nos jours (1999), cette armée était « profondément originale comme la France n’en a jamais connu, une armée qui compte moitié d’Européens et moitié de musulmans et de coloniaux ».

Bien évidemment, la bravoure et l’esprit de sacrifice ne sont pas une question de statistique. L’héroïsme des goumiers marocains dans la campagne d’Italie, en 1943-1944, est légendaire, notamment durant la bataille de Monte Cassino. On pourrait aussi évoquer les tirailleurs tunisiens du général de Montsabert, toujours dans cette campagne d’Italie, avec la prise du Belvédère. Ainsi, du 25 janvier au 4 février 1944, la moitié des effectifs du 4e régiment de tirailleurs tunisiens furent tués ou blessés.

En 1953, lors de sa réception à l'Académie française, le maréchal Juin avait voulu voir dans cet honneur celui rendu à l'Armée d'Afrique et, lorsqu'il préfaça, en 1966, quelques mois avant sa mort, un disque consacré aux musiques, noubabs et fanfares de l’Armée d’Afrique, il conclut ainsi : « Les Français doivent à l’Armée d’Afrique une immense reconnaissance. » La France n’a pas attendu Emmanuel Macron pour reconnaître la part prise par l’Afrique dans la libération du territoire national.

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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