La conquête de Mars, ou l’angoisse de perdre la Terre

Terre Mars

Le projet d'Elon Musk de conquérir Mars avance à grands pas : le 6 août, la fusée Falcon 9, dotée d’un système de propulsion particulièrement puissant, a décollé de Cap Canaveral, en Floride. Depuis qu’il a bâti Space X, en 2002, la conquête de la planète rouge semble enfin envisageable, le but étant de pouvoir réaliser un premier départ en 2040. D’ailleurs, l'astronaute français Thomas Pesquet fait savoir qu'il tient à en être dans un documentaire d’Alain Tixier et de Vincent Perazio intitulé Thomas Pesquet : objectif Mars (2017). Au premier abord, toute tentative d’exploration de l'espace est passionnante. Car, en science, la curiosité n'est jamais un vilain défaut. Les spécialistes parlent même de recherche des origines du vivant, voire de l'espèce humaine, dans la mesure où Mars contiendrait des traces d’eau.

Cependant, la conquête de l'espace ne constitue-t-elle pas le projet humain le plus vaniteux ? Parce qu’il s'agit de prétendre tenir l'infiniment grand dans sa main. Heidegger avait livré une analyse précise sur ce point : « Le dé-loignement est d'abord et le plus souvent affaire de discernation : rapprochement, amener à proximité, comme par exemple se procurer, tenir prêt, avoir sous la main » (Être et Temps, § 23, Gallimard, 1986).

Après avoir créé le système de paiement numérique PayPal, Musk s’est lancé dans le marché du transport automatisé en fondant Tesla, en 2003. Aux côtés des GAFAM (Google Apple Facebook Amazon Microsoft), les NATU (Netflix Airbnb Tesla Uber) entendent, eux aussi, être à la pointe de la révolution transhumaniste. Tout en vantant l’aventure spatiale, le nouvel écologisme nourrit le sentiment confus d'une corruption exponentielle de la Terre. Personne ne sait vraiment ce qui peut provoquer la destruction du berceau de l'humanité, d'où une angoisse d'autant plus malléable. In fine, le transhumanisme effectue un tour de force idéologique en alliant le technoscientisme avec l'écologisme.

En attendant le pire, la recherche d’un nouveau terrain de chasse est logiquement salvatrice. Hier, ce fut l'Amérique du Sud pour les Espagnols ; demain, ce sera Mars pour les USA, la Russie et la Chine ; le culte de l’Anthropos remplacé par celui du Kosmos. Mais, en dépit des bons sentiments, une invasion reste une invasion : elle ne peut que produire la destruction. En outre, bien que voler ne soit pas conforme au fonctionnement du corps humain, on tient à tout voir et à tout toucher, autant par prétention que par ambition. Nietzsche avait trouvé le sens de cette propension : « Lues d'un astre lointain, les lettres majuscules de notre existence terrestre pourraient conduire à conclure que la Terre est l'étoile ascétique par excellence, un coin habité par des créatures mécontentes, hautaines et répugnantes, atteintes d'un incurable et profond dégoût d'elles-mêmes, de la Terre et de toute vie, et qui s'acharnent à se faire souffrir pour le plaisir de faire souffrir : – probablement leur seul plaisir« (La Généalogie de morale, Troisième dissertation, § 11, Gallimard, 1971). Même si le philologue ciblait principalement le christianisme, il pensait, d’un même geste, à l'humanisme et à ses extensions possibles.

Ainsi, derrière l'enthousiasme que suscite la conquête de Mars, ne demeure-t-il pas une logique de la fuite en avant ? Humaine, trop humaine… L’enfant finissant toujours par se lasser de ce qu'il a conquis. Et à se brûler les doigts aussi.

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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