Ah, si seulement Jean-Michel Aphatie était aphasique ! Non qu'il faille le lui souhaiter, le pauvre, mais il éviterait ainsi d'étaler incongrûment ses partis pris, pour ne pas dire ses préjugés. Voilà qu'il réclame qu'on débaptise l'avenue Bugeaud à Paris. Il s'en prend en même temps à Éric Zemmour, dont il aurait aimé qu'on l'interdît de parole. Étrange, pour un journaliste, de vouloir ôter la liberté d'expression à un confrère plutôt que de lui opposer des arguments !

Il vaut la peine de relire tout son tweet : « Et donc, il existe une avenue Bugeaud à Paris 16, du nom du maréchal auteur des odieuses “enfumades” en Algérie, qui scandalisèrent les Français à l’époque et que défend aujourd’hui Éric Zemmour. Quand donc Anne Hidalgo va-t-elle débaptiser cette avenue hideusement nommée ? » Il ne fait pas dans la dentelle. Il aurait dû demander aussi qu'on débaptisât la promotion de Saint-Cyr (1958-1960) qui a adopté son nom et qu'on interdît de chanter « La Casquette du père Bugeaud ».

On peut penser ce que l'on veut du parcours et de l'action de cet officier, de la « servitude et grandeur militaires », comme disait Alfred de Vigny ; mais il appartient à notre histoire et Éric Zemmour a bien raison de soutenir que, quand on se prétend français, on ne peut pas faire le tri ni rejeter ceux qu'on désapprouve. À ce titre, d'aucuns pourraient ostraciser, dans une même condamnation, les noms de Pétain et de De Gaulle, le premier pour s'être associé à la collaboration, le second pour avoir donné l'Algérie, composée de départements français, au FLN et laissé livrer les harkis à une mort abominable. L'Histoire ne s'accommode pas du manichéisme.

Jean-Michel Aphatie se comporte comme ces associations antiracistes qui demandent de débaptiser des rues portant le nom de personnalités accusées d'être des esclavagistes. « “Vos héros sont nos bourreaux”. Il faut donc débaptiser ces rues et leur donner le nom des artisans de la lutte contre l'esclavage, blancs ou noirs », expliquait, en 2017, à Libération, le président du CRAN. C'est le même qui appela au boycott d'une représentation des Suppliantes d'Eschyle à la Sorbonne sous prétexte que les acteurs blancs portaient des masques et maquillages noirs.

Tout se passe comme si ces hommes, qui ne sont que des hommes ordinaires, avec leurs qualités et leurs défauts, se croyaient détenteurs de la vérité absolue et investis d'une mission purificatrice. C'est ainsi que naît la tentation totalitaire. Comme Saint-Just, ils estiment qu'il n'y a « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » et ils s'érigent en juges pour décider qui sont les ennemis de la liberté. Ils feraient mieux de se souvenir des mots que prononça Manon Roland, sur le point d'être guillotinée après un procès expéditif devant le tribunal révolutionnaire : « Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »

En octobre 2008, Jean-Michel Aphatie reçut, avec Arlette Chabot, le prix Roland-Dorgelès, décerné à des journalistes qui « contribuent au rayonnement de la langue française ». Si on ne lui conteste pas de s'exprimer correctement, il mériterait aujourd'hui qu'on inventât pour lui le prix de la bien-pensance !

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22 novembre 2019 à 15:48

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