Plus grande cité de Marseille, constituée à 100 % de logements sociaux, Frais-Vallon fête cette année les soixante ans du début de sa construction. Entre le plan de rénovation urbaine qui se fait attendre, la pauvreté qui touche un grand nombre d’habitants et la prégnance des trafics, reportage dans cette cité représentative des quartiers nord de Marseille. 

En arrivant en pleine journée au métro Frais-Vallon, qui relie le Vieux-Port de Marseille à la cité en quinze minutes environ, l'ambiance est calme. Autour, on repère vite les ventes à la sauvette de fruits et légumes et les divers trafics de drogue ; quelques adolescents et jeunes adultes assis observent les environs, aux aguets. Un peu plus loin, il y a déjà la queue à la boulangerie. Il est midi. Quelques mères de famille se promènent entre les différents bâtiments de Frais-Vallon avec leurs enfants.

Construit entre 1962 et 1964 pour y accueillir les habitants des bidonvilles et des îlots insalubres, ainsi que les nombreux rapatriés d'Algérie, Frais-Vallon est un quartier de grands ensembles du XIIIe arrondissement de Marseille, situé dans les quartiers nord.

On y trouve près de 7.000 habitants répartis dans les 1.480 logements sociaux qui composent la cité. Depuis la démolition de deux bâtiments en 1992 et 2016, la cité compte quatorze bâtiments, dont trois tours de 21 étages, tous disposés autour de l'avenue de Frais-Vallon, axe de passage fréquenté par de nombreux Marseillais qui donne son nom à l'ensemble. Le quartier compte trois maternelles, deux écoles élémentaires, un collège ainsi qu'une piscine qui sera bientôt détruite et remplacée. Les HLM sont gérées par Habitat Marseille Provence (HMP), organisme de logement social vieux de plus d'un siècle dont le siège social est au cœur du quartier.

Comme de nombreuses cités marseillaises, Frais-Vallon a en partie été construite pour l’accueil des rapatriés d’Algérie venus en masse en dépit de l’opposition initiale du maire socialiste de la ville Gaston Defferre qui les exhortait à « aller se réadapter ailleurs ». Nous avons pu échanger avec Jean-Luc, retraité qui habite désormais un village situé entre Marseille et Aix, sur son expérience à Frais-Vallon. Issu d’une famille de pieds-noirs juifs rapatriés d’Alger au début des années 1960, il a vécu un an avec ses parents et ses deux frères dans la cité. Entre 1968 et 1969, la famille habitait le bâtiment D, celui qui fut détruit en 1992 pour permettre la construction de la ligne de métro. Jean-Luc garde plutôt un bon souvenir de cette année passée dans le quartier. À 17 ans, il faisait partie d’un petit groupe de musiciens qui répétaient dans le sous-sol de l’immeuble. « L’ambiance entre pieds-noirs était à la solidarité. Nous restions entre nous car déjà à l’époque, il commençait à y avoir des immigrés d’Afrique du Nord. Or, nous avions quitté l’Algérie dans des conditions terribles et ne voulions pas nous retrouver de nouveau dans une situation conflictuelle avec les Algériens d’ici. » Son père, facteur au salaire modeste, voit d’un mauvais œil les bandes rivales qui déjà se forment dans les cités alentour et leurs bagarres à coups de chaînes de vélo. Il ne veut pas prendre le risque que ses fils soient confrontés à des violences ; un an après son installation, la famille déménage dans « un coin plus sûr de Marseille, dans le IXe arrondissement ».

Pour Jean-Luc, c’est l’environnement social qui portait en germe la dégradation que l’on perçoit aujourd’hui, celui qui a provoqué le déménagement de sa famille. D’ailleurs, quand ils en ont eu l’occasion et les moyens, tous les pieds-noirs en ont souvent fait de même. La qualité du bâti n’était pas en cause : « Nous vivions dans un bel appartement en duplex, neuf, avec vue sur le Frioul et la mer. Les conditions de vie ici étaient agréables », prend-il soin de rappeler.

Les habitants misent davantage sur la solidarité locale que sur les actions des élus

Nous allons à la rencontre de plusieurs habitants qui vivent à Frais-Vallon depuis plusieurs années. Parmi eux, Amine Kessaci, jeune homme de 19 ans, a toujours habité sur place. Il va et vient dans les rues de la cité et salue les habitants par leur prénom, comme si nous étions dans un village. Depuis la mort de son frère aîné Brahim, retrouvé calciné dans une voiture au cours d’un énième règlement de comptes, à l'âge de 22 ans, Amine s'est engagé dans son quartier.

On le retrouve près de la mosquée dans le local d'une association de locataires qui préparent l'élection de leurs représentants au conseil d'administration de HMP.  Parmi les personnes présentes, la jeune veuve de son frère et sa petite fille de trois ans qui court dans tous les sens, mais aussi une mère de famille en situation précaire. Dounia* a passé quatre mois dans sa voiture, entre juillet et novembre de cette année, avec ses quatre enfants, tous scolarisés, après avoir été évincée de son précédent logement et avoir contracté une lourde dette solidaire avec son ex-mari qui, lui, ne la paie pas. Elle vient à peine de trouver une solution dans un foyer après être allée frapper à toutes les portes. Elle dénonce le fait de ne pas être entendue par les élus et nous fait part de demandes de dessous de table en liquide pour obtenir plus rapidement un logement social. Par ailleurs, cette mère de famille d'origine algérienne s'indigne de passer après certains migrants. « Je suis née ici, je vote ici, et pourtant je suis logée après les Nigérians ou les Ukrainiens [ces derniers sont logés dans d’autres quartiers de Marseille que Frais-Vallon, NDLR]. »

Malgré des incivilités à répétition, l'espoir d'une amélioration demeure

On sent un certain découragement, voire un écœurement de la politique de la part des habitants. Les critiques des élus en charge du logement à la ville fusent. Le maire LR des XIIIe et XIVe arrondissements, Marion Bareille, en prend aussi pour son grade. « À part à bien porter son écharpe de maire, elle ne sert à rien, on la surnomme Miss France », souffle Lila*, éducatrice dans le XIVe arrondissement de Marseille, qui loue les vertus de l’engagement associatif et citoyen pour faire avancer les choses.

Quand on demande aux locataires quels sont les principaux problèmes rencontrés à Frais-Vallon, trois réponses remontent : la rénovation des bâtiments, la propreté et la sécurité. « On attend toujours les travaux de rénovation ici, certains appartements ne sont pas en bon état, cela fait des mois, par exemple, qu'une des locataires a une fenêtre cassée non remplacée », explique Étienne*, gardien d'un des immeubles qui vit à plein temps à Frais-Vallon. « Certains habitants balancent leurs poubelles par la fenêtre, tous les jours. On retrouve le sol jonché de détritus. Ils s'imaginent que d'autres vont passer derrière eux pour tout nettoyer. Ou encore, certains urinent dans la cage d'escalier, ou dans l'ascenseur », lance-t-il, dépité. Amine raconte que dans le cadre de son association, « Conscience », présente dans de nombreuses grandes villes de France, il organise régulièrement des opérations de nettoyage des quartiers. « Au collège des Chartreux ou au collège privé Saint-Bruno, nous avons une direction et des enseignants qui répondent à nos invitations et emmènent leurs classes nettoyer des quartiers qui ne sont pas les leurs. À l’inverse, à deux pas d'ici, au collège Jacques-Prévert, nous n'avons jamais aucune réponse », explique-t-il, un brin agacé. Pourtant, il garde son cap et sa confiance dans la mobilisation des acteurs locaux pour remédier au laisser-aller et aux incivilités. « La prise de conscience de la propreté passera par la jeunesse, grâce à la prévention », estime-t-il.

Entre démantèlement et reconstitution immédiate, les trafics de drogue perdurent

Quant aux problématiques de sécurité, les habitants réclament une police de proximité qui, selon eux, serait plus efficace pour lutter contre les trafics. En l'état actuel des choses, l'action menée contre les trafiquants s'apparente à une politique du chiffre : « La police vient ici une ou deux fois tous les deux mois, fait une descente qui dure quatre heures et puis s'en va. Vingt-huit minutes plus tard, le trafic est reconstitué », raconte un voisin. Ce que nous confirme Eddy Sid, délégué Unité Police FO à Marseille, né dans les quartiers nord et qui, après plus de dix ans passés à Paris, est revenu travailler à Marseille. « Il y a un aspect décourageant à voir certains dealers tout juste arrêtés qui ressortent le jour même et recommencent leurs activités. La politique pénale ne suit pas toujours le travail de terrain mené par des policiers dévoués à leur mission de service public. » Les policiers doivent être mieux aidés dans leur lutte contre « une économie souterraine monumentale, qui fait parfois vivre des dizaines de familles », affirme Eddy Sid. « La plupart des habitants sont gênés par les délinquants mais ils doivent s'écraser car ces derniers ont des ramifications et du soutien autour d'eux ; comme ils gagnent des milliers d'euros, ils sont respectés et craints. Et ils font perdurer ce système parallèle en recrutant de jeunes ados qui ne réfléchissent pas longtemps entre travailler à l'école et gagner 100 à 300 euros par jour comme choufs » [guetteurs, NDLR], explique le syndicaliste policier. Malgré tout, celui-ci ne baisse pas les bras et estime qu'avec un durcissement effectif de la répression judiciaire des trafiquants, la situation pourrait s'améliorer.

Une pacification possible, selon la députée locale

En 2021, un règlement de comptes dans la nuit du 6 au 7 juillet a fait un mort au pied d’un immeuble, abattu par un tir en pleine tête. Deux mois plus tard, juste après la visite d'Emmanuel Macron à Frais-Vallon, des policiers ont été attaqués et frappés par une dizaine d'individus alors qu’ils procédaient à l'arrestation d'un dealer. Des faits divers sanglants qui continuent d’endeuiller cette cité à intervalles réguliers. Ce sujet tient au cœur de Gisèle Lelouis, députée RN de cette circonscription, qui vit dans les quartiers nord de Marseille depuis 1997. « Nous voulons pacifier ces quartiers en accordant des logements sociaux aux familles méritantes qui ne causent pas de nuisances à leur entourage, par exemple en mettant en place une charte de respect du cadre de vie qui pourrait être mise à la signature des locataires. » Elle insiste, comme le fait Marine Le Pen au niveau national, sur le renforcement des effectifs de police et sur l’application réelle des peines pour enrayer le trafic de drogue. Autre problème, selon elle, le campement de roms vers l’échangeur de la rocade L2 qui se reforme en dépit des expulsions, « ce qui souligne l’inaction de Martine Vassal et de la majorité municipale LR de Marion Bareille ». Elle dénonce, par ailleurs, des achats de voix et des promesses d’embauche de jeunes de la cité qui, selon elle, auraient eu pour effet de faire gagner des électeurs à l’équipe LR en place. Néanmoins, la députée souligne les atouts de Frais-Vallon : cet endroit n’est pas, estime-t-elle, un territoire délaissé par la République, bénéficiant de financements au titre de la politique de la ville destinée aux quartiers prioritaires auxquels Frais-Vallon appartient, étant correctement desservi par les transports (métro, bus, rocade) et bien intégré à Marseille.

* Les prénoms ont été changés.

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22 novembre 2022 à 18:00

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5 commentaires

  1. Qu’est elle devenue ? : Le souk…et encore je préfère, et il vaut mieux, aller se balader dans le Grand Bazar d’Istambul…

  2. MARSEILLE, la ville où je suis né est devenue un coupe-gorge avéré, où les touristes et promeneurs ne veulent plus aller, le milieu Marseillais d’antan avait une certaine éthique, les voyous de maintenant tuent pour 10 euros

  3. On dépense un pognon de dingue dans ces cités. Les problèmes viennent des populations guettoisees. Dans les années 60 les locataires s’y trouvaient bien. Ils ont du partir comme certains ont dû quitter l’Algérie.

  4. Il en est de même à Lyon, voir entre autres les cité de l’est, Parilly Essart, Bron où j’ai passé ma jeunesse. L’invasion et le grand remplacement à l’oeuvre. Je n’y retrouve plus mon enfance et ma jeunesse mais j’ai l’impression d’avoir été transporté en Afrique.

  5. Contrairement a ce que beaucoup dise, les cités (dans les banlieues) ont été construite pour répondre à l’exode rural des métropolitains. Dans ces cités Il y avait tout l’équipement désiré sur place, ce qui n’était pas forcément le cas partout en campagne.

    Par exemple du Plessis Robinson une banlieue à 15 kilomètres de Paris. L’évolution démographique est le signe de notre histoire.

    1793-1911 petit village de 235 à 686 habitants,
    1936 : 7779 habitants constructions des premières cités fin années 20/30,
    1954 : 13163 habitants constructions de nouvelles tranches d’habitat collectifs
    1962 : 18449
    1968 : 22590
    2019 : 30061 A partir des années 90, de constructions plus récentes cohabite avec l’habitat ancien qui a été rénové ou remplacé.

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