Fuites du Pentagone : le pessimisme des services de renseignement américains

Dans les grands titres de la presse américaine, les révélations se déversent en cascade quotidiennement à la une des journaux après la découverte, sur les réseaux sociaux, d’une fuite massive de documents ultra-secrets émanant du Pentagone.

Le contraste est saisissant avec la presse française, qui brille par sa discrétion sur le sujet. Il est vrai que le contenu des « Pentagon Leaks » vient bousculer bien des affirmations péremptoires sur l’état de l’armée ukrainienne et ses chances d’emporter des succès stratégiques décisifs. Or, sans cette perspective, comment parvenir à convaincre les opinions publiques que seules les livraisons d’armes et la poursuite de la guerre offriront une issue satisfaisante au conflit ?

Les premiers éléments divulgués, qui sont venus remettre en question le récit officiel, concernent l’état du système de défense aérienne ukrainien qui pourrait prochainement s’effondrer. Selon le New York Times, il ressort des documents que les frappes massives de missiles russes, dont la presse occidentale raillait le manque de précision, ont épuisé les capacités de la défense ukrainienne qui a tenté de les abattre. Si le ciel se dégage pour l’aviation russe, on imagine facilement l’état de vulnérabilité qui s’ensuivra pour l’artillerie ukrainienne et les troupes au sol.

Autre élément, qui s’écarte des discours convenus à propos de la contre-offensive ukrainienne à venir : selon le Washington Post, une évaluation en date du 23 février dernier portant sur les combats dans la région du Donbass prévoit une « campagne d'usure écrasante » de la Russie qui « se dirige probablement vers une impasse, contrecarrant l'objectif de Moscou de capturer toute la région en 2023 ». Ce qui veut dire qu’à ce stade, pour les services de renseignement américains, aucune des deux parties ne paraît en capacité de renverser la situation dans ce secteur de manière significative tout au long de cette année.

Mais c’est surtout un document révélé le 10 avril dernier par le Washington Post, et qui n’avait pas été divulgué jusque-là, qui semble semer le doute sur l’issue de la reconquête par Kiev des territoires perdus. Le titre de l’article et son premier paragraphe pourraient à eux seuls résumer tout l’enjeu des « Pentagon Leaks » : « Les États-Unis doutent que la contre-offensive ukrainienne obtienne des gains importants, selon un document divulgué. » Ce qui, ajoute le Washington Post, marque « un écart par rapport aux déclarations publiques de l'administration Biden sur l’état de l'armée ukrainienne et est susceptible de renforcer les critiques appelant à des négociations pour mettre fin à la guerre ».

Tout est dit, on pourrait s’arrêter là. La fuite remet bien des certitudes en question. Mais encore faut-il qu’elle soit portée à la connaissance des opinions publiques. On peut remercier le Washington Post de l’avoir fait, quand on sait que l'administration Biden a demandé aux médias de ne pas divulguer le contenu des documents.

Cette évaluation réalisée début février insiste sur l’état d’épuisement de l’armée ukrainienne et la faiblesse de son artillerie dont le manque de munitions a rendu nécessaire de rationner les obus. La puissance des défenses russes associée aux « déficiences ukrainiennes persistantes en matière d'entraînement et d'approvisionnement en munitions, mettra probablement à rude épreuve les progrès et aggravera les pertes pendant l'offensive », indique le document, qui ne prévoit que des « gains territoriaux modestes ».

Évoquant des échanges entre les responsables américains et les dirigeants ukrainiens dans les semaines qui ont suivi la rédaction du document divulgué, le Washington Post indique que « toutes les parties sont sorties de ces conversations avec le sentiment que l'Ukraine commençait à comprendre les limites de ce qu'elle pouvait réaliser lors de l'offensive et qu'elle se préparait en conséquence ».

On comprend mieux, désormais, l’insistance du chef d’état-major de l’armée américaine, le général Milley, à réfréner les ardeurs bellicistes de son propre camp. Dans une interview accordée à Defense One, au mois de mars dernier, il déclarait à nouveau qu’il lui paraissait peu probable que l'Ukraine parvienne à expulser toutes les forces russes de son territoire cette année. Au mois de novembre, il avait dit la même chose et incité Kiev à négocier : « Quand il y a une occasion de négocier, quand la paix peut être obtenue, saisissez-la. Saisissez le moment », avait-il déclaré. Ce qui avait bien embarrassé l’administration Biden.

Dans un article récent, un expert militaire américain, l’ancien lieutenant-colonel Daniel Davis, rédacteur en chef de 19FortyFive, considérait que même si l’Ukraine parvenait à effectuer une percée réussie, celle-ci pourrait laisser l'armée de Zelensky si affaiblie qu'elle ne pourrait « même pas défendre la nouvelle ligne de front, et encore moins rassembler les futurs effectifs nécessaires pour chasser le reste de l'armée russe hors d'Ukraine ». Il en déduisait qu’il était imprudent de continuer à essayer de rechercher un résultat « probablement militairement inaccessible » et qu’il convenait alors de favoriser « la meilleure solution diplomatique pour mettre fin à la mort inutile du peuple ukrainien ».

Les militaires le disent et l’écrivent, mais les politiques continuent manifestement à voir les choses autrement.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

35 commentaires

  1. Si ces hauts gradés de la Politique et de l’Armée ne savaient pas que la Russie Orthodoxe gouvernée par Poutine avec la Douma ne reculerait pas, s’accrocherait au Donbass et Crimée, aurait les capacités militaires (comme pays un des plus armés en technologie par obligation) de tenir économiquement, avec un pays qui a toutes les richesses sur et sous terre, et un peuple habitué à souffrir, à serrer les rangs à plus de 80 % de la population, eh bien ces hauts gradés U.S. peuvent aller tondre leur pelouse et laisser la place aux Républicains…Ils leur fallait une guerre en Europe, ne pouvant plus trop la porter ailleurs, afin d’arrêter la course en avant et une population trop nombreuse, une économie en déroute. Un Monde multi polaire est bien mieux à mon avis, avec une France passée vraiment à Droite G D G

  2. C’était prévu depuis longtemps car la Russie grande puissance ne lâchera rien en Ukraine de ce qu’elle a conquise pour libérer les territoires russophones qui demandaient de l’aide. Les USA patron de l’OTAN ont non seulement affaibli l’Ukraine en la poussant à la guerre mais aussi l’UE dont l’économie est en forte baisse et les populations en sont durement affectée par les produits de plus en plus chers. Des sociétés sont en faillite, des fournisseurs comme les boulangeries disparaissent etc.

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