[Exposition] À Paris, une exposition rend justice aux maîtres de la gravure

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Le musée Marmottan-Monet (Paris XVIe) innove avec une exposition estivale baptisée « Graver la lumière ». Y est présentée au public français une belle sélection d’estampes venues de Suisse (de la fondation Cuendet et de l’Atelier Saint-Prex). On y trouve les maîtres anciens et modernes et quelques contemporains. Toutes les techniques ou presque sont illustrées, puisqu’on y rencontre le bois, le burin, la pointe sèche, la manière noire, l’eau-forte, le vernis mou, l’aquatinte, la lithographie ou le cliché-verre.

Dürer domine le début du XVIe siècle. Il illustre la Passion – les suites de la Petite Passion et de la Grande Passion sont devenues célèbres – et donne une belle image de Samson tuant le lion, dans un de ces décors germaniques dont on ne lasse pas, faits de bourgs fortifiés couronnant une colline. Au XVIIe siècle, c’est Rembrandt qui s’impose comme un maître expérimentateur en effet de clair-obscur où la forme se noie. Mais n’oublions pas un maître français trop méconnu, le Nancéen Jacques Callot, merveilleux campeur de personnages d’un style nerveux (Le Passage de la mer Rouge, 1629). On ne s’extasiera pas outre mesure sur la célèbre Sainte Face de Claude Mellan, réalisée d’un seul trait de burin circulaire, partant du centre de l’image : c’est un tour de force, d’aucuns diraient « de l’épate », qui ne produit finalement qu’une image peu inspirée.

Au siècle suivant, ce sont les védutistes qui cherchent la lumière, Canaletto avec ses caprices paisibles (superbe Portique à la lanterne) ou Piranèse avec ses fantaisies inquiétantes (Le Pont-levis). Un Canaletto inspirera, au XXe siècle, le Suisse Palézieux. L’inquiétude, encore, est palpable chez Goya, à la frontière de deux mondes – l’ancien et le moderne, mais aussi la raison et la folie –, qui n’hésite pas à graver une Pluie de taureaux. Au XIXe, la lithographie (forte image de Manet : Guerre civile) et le cliché-verre (pratiqué par Corot) ajoutent des cordes au registre de la gravure.

Les expressionnistes allemands (première moitié du XXe siècle) sont, pour une raison que j’ignore, absents de la sélection. Ce furent pourtant de fieffés xylographes. Mais une artiste telle que Susan Litsios (1937-2017) ne peut-elle leur être rattachée ? Son bois représentant des branches enneigées est un chef-d’œuvre, derrière un humble titre (Snow Study, Étude de neige).

La dernière partie de l’exposition nous emmène vers l’héliogravure, de façon inattendue mais légitime : les graveurs ont leur part dans la mise au point des procédés photographiques au XIXe siècle, habitués qu’ils étaient à multiplier une image à partir d’une matrice et à manipuler, pour ce faire, des produits chimiques. L’héliogravure est un procédé complexe associant photo et gravure. L’effet est inégalable : elle rend à merveille le grain des choses et des matières, avec un velouté unique, comme on peut le vérifier sur les planches de la cathédrales de Chartres réalisées par Charles Nègre en 1856-1857 – c’est logiquement qu’au XXe siècle la collection Zodiaque utilisera la coûteuse héliogravure pour présenter l’art roman en ombres profondes et en lumière rasante.

Ainsi se clôt un parcours de qualité qui montre qu’il n’y a pas de gravure sans métier – de fait, les graveurs ont été à l’abri du mépris des techniques dont ont trop souvent fait preuve les peintres modernes – et combien ces techniques servent l’inspiration.

Illustration : Canaletto, Portique à la lanterne, 1742. Vevey, Musée Jenisch Vevey — Cabinet cantonal des estampes, fondation William-Cuendet & Atelier de Saint-Prex, Collection P © Olivier Christinat, Lausanne

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

5 commentaires

  1. Cette exposition devraient s’exporter par la suite dans nos provinces vers lesquelles nombres de parisiens se sont expatriés. Je pense qu’elles trouveraient une clientèle interressées et disponibles . Parce qu’à Paris , ce sont les surtout les touristes qui en profiteront exclusivement .

  2. Voilà bien une excellente raison de faire un tour à Paris !
    Quitte à supporter sa saleté et sa vulgarité niaise .

  3. Merci à Samuel Martin d’attirer notre attention sur cette expo sûrement passionnante. Rien que l’illustration de Canaletto donne envie d’y aller. Il suffit de se rendre sur ebay pour constater qu’on peut s’offrir de superbes gravures à des prix tout doux – elles ne font pas mal aux yeux comme bien des peintures, sculptures, installations en vue dans nos tristes musées et frac…

  4. De vrais artistes , des oeuvres de qualité . Ces dernières années nous avons surtout des gens qui se prennent pour des artistes et des idiots pour les soutenir .

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