[EXPO] Au musée de Cluny, le règne chahuté mais fécond de Charles VII

Détail du dais de Charles VII (musée du Louvre). © BV
Détail du dais de Charles VII (musée du Louvre). © BV

Deux anges apportent du ciel la couronne de Charles VII sur un fond semé de soleils d’or : ce chef-d'œuvre d’un maître lissier illustre de magnifique façon le règne de ce roi (1422-1461) mené au sacre par Jeanne d’Arc. Un règne chahuté - la première moitié du siècle est tout en luttes et factions, à la guerre de Cent Ans s’ajoutent les hostilités entre Armagnacs et Bourguignons -, un pays morcelé, mais nulle part la vie artistique ne s’arrête vraiment. Lorsque Charles VII reprend son royaume en main (1453), le gothique international, marqué par les influences nordiques et italiennes, entame une lente mutation qui aboutira à la Renaissance. En s’intéressant au règne de Charles VII, le musée de Cluny clôt par le milieu une trilogie, entre « Paris 1400 » (Louvre, 2004) et « France 1500 » (Grand Palais, 2010).

De superbes diplômes calligraphiés et portant sceaux donnent la tonalité historique : haut d’un bon mètre, le traité de paix entre Charles VII et Philippe le Bon, signé à Arras le 21 septembre 1435. Combien modeste, en comparaison, est la lettre de Jeanne d’Arc aux habitants de Reims, écrite de Sully-sur-Loire, le 16 mars 1430 ! C’est l’une des cinq lettres originales conservées, et l’une des trois signées de sa main : on ne fait pas plus rare ni plus émouvant. Cette lettre fut dictée, la sainte signa-t-elle elle-même ? La question est discutée.

Charles VII, par Jean Fouquet. Vers 1450 - 1455. Huile sur bois. INV 9106. Paris, musée du Louvre, département des peintures. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

L’emblématique tapisserie aux Cerfs ailés

À part la sculpture, peu présente dans l’exposition, celle-ci témoigne de l’incroyable diversité de moyens artistiques qu’avaient nos aïeux à leur disposition, avant que la peinture à l’huile sur toile n’atrophie la variété des techniques : tapisseries, enluminures, vitraux, orfèvrerie… La commande royale se manifeste par plusieurs chefs-d'œuvre, dont la tapisserie des Cerfs ailés. La composition est touffue (telle que la tapisserie est placée, on manque de recul pour l’admirer comme elle le mérite) et riche en emblèmes. Côté peinture, le grand morceau est le portrait du roi par Jean Fouquet. Rouge, vert et blanc dominent : ce sont les couleurs royales. Mais c’est aussi une utilisation efficace des complémentaires que retrouvera Van Gogh. Comment, d’ailleurs, ne pas penser au peintre brabançon-provençal en contemplant le petit autoportrait de Fouquet, au regard mi-concentré mi-inquiet (un médaillon en émail et camaïeu d’or sur cuivre) ?

Fouquet fut un remarquable peintre d’enluminures (Heures d’Étienne Chevalier, Grandes Chroniques de France), art de haute tenue qui demeurait alors la principale activité des peintres. Barthélemy d’Eyck (Retable de l’Annonciation) enlumine pour le roi René le Livre des Tournois dans une technique inhabituelle, aquarelle sur papier, et non gouache sur parchemin. Autre rareté : le Strabon illustré par Giovanni Bellini, pour le roi René, encore. Car le duc d’Anjou, roi de Sicile, de Jérusalem et d’Aragon - par ailleurs, fidèle à Charles VII, son beau-frère -, est l’un des grands mécènes du siècle. D’un maître anonyme, La Pièta de Tarascon, inspirée par celle d’Enguerrand Quarton, était sans doute celle qui ornait la chambre de Jeanne de Laval, épouse du roi René.

Le Baiser de Judas et l’Arrestation du Christ, par le Maître de Dreux-Budé/André d’Ypres. Panneau gauche du triptyque de Dreux-Budé. Vers 1450. Huile sur bois. RF 2015-3. Paris, musée du Louvre, département des peintures. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle RF2015-3.

Le premier nocturne de la peinture française

À voir absolument, le triptyque dit « de Dreux-Budé ». Attribués à André d’Ypres, les trois panneaux sont exceptionnellement réunis, le temps de l’exposition (en provenance du musée du Louvre, du Getty Museum de Los Angeles, du musée Fabre de Montpellier). Le volet qui représente Le Baiser de Judas et l’Arrestation du Christ est le premier « nocturne » de la peinture française (hors enluminures). Le peintre a assourdi ses couleurs avec grand art, sans les dénaturer.

À côté des commandes religieuses ou royales, plusieurs œuvres révèlent les commandes privées. Dans ce domaine, quoi de plus beau que le vitrail représentant un couple jouant aux échecs ? En grisaille et jaune d’argent, une telle élégance vous signe un siècle - et une civilisation.

Les Arts en France sous Charles VII. musée de Cluny, du 12 mars au 16 juin 2024. 9h30 - 18h15 tous les jours sauf le lundi. Fermeture de la billetterie à 17h30. Évacuation à partir de 17h45. Nocturnes le 1er et 3e jeudi du mois de 18h15 à 21h.

Vitrail joueurs d'échec (ne pas réutiliser)

Vitrail : les joueurs d’échecs. XVe siècle. Grisaille, jaune d’argent. Cl. 23422. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Mathieu Rabeau

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

4 commentaires

  1. « le petit roi de Bourges » comme le surnommèrent ses détracteurs , n’était pas si « petit » que ça !

  2. Ces rétrospectives sont aussi la France. Rappelons-nous que notre décrépitude actuelle n’est pas inévitable et tenons ferme à nouveau.

  3. Merci pour cet article qui nous fait découvrir une partie de l’histoire de notre pays dont on ne parle pas forcément dans les écoles .

  4. Vives félicitations au jeune Samuel Martin pour ses articles/contributions de hautes qualités… dans la diversité !
    Merci à lui.

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