Comment expliquer la novlangue de Michel Lussault ?

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Après l’annonce de sa démission, Michel Lussault, l’ex-président du Conseil supérieur des programmes (CSP), a reçu une volée de bois vert. Il a beau vouloir se faire passer pour une victime, il n’y parvient pas : il reste toujours l’homme qui, dans la première version des programmes, jargonnait d’une manière ridicule. Pourquoi cette tendance à utiliser un langage abscons ?

Au lieu de suivre les conseils de Boileau, dans L’Art poétique ("Avant donc que d'écrire, apprenez à penser./Selon que notre idée est plus ou moins obscure,/L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure./Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,/Et les mots pour le dire arrivent aisément."), il préfère recourir à une incompréhensible novlangue.

Par snobisme, d’abord. On l’imagine au milieu des petits marquis et des précieuses que Molière critique dans ses comédies. Ils croyaient briller en société en inventant un lexique extravagant. Souvenez-vous de cette réplique de Magdelon : "Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation." C’est bien plus distingué – convenez-en – qu’un banal "Apportez-nous des fauteuils afin que nous puissions discuter". Ne pensez-vous pas que le fameux "milieu aquatique profond standardisé" pour remplacer le mot "piscine" pourrait figurer dans le palmarès du ridicule ?

S’il n’y avait que le snobisme dans l’usage de cette novlangue pédagogique ! Mais c’est aussi une forme de cuistrerie pour feindre d’être un « spécialiste » – ou se persuader qu’on en est un. À moins que, tel Diafoirus, on ne cache ainsi son incompétence. En quelque sorte, on se protège derrière son vocabulaire, prêt à sortir les griffes à la moindre attaque.

Enfin, ces novlanguistes savent qu’ils ne seront pas compris, mais n’en ont cure. L’important, c’est qu’ils se comprennent entre initiés et maintiennent le commun des mortels éloigné de leur savoir. Ils n’en auront, pensent-ils, que plus d’autorité.

Tous ces défauts semblent se retrouver chez notre ex-président du CSP. Mais ils ne se manifestent pas seulement quand il touche aux programmes de l’école primaire ou du collège : c’est aussi, semble-t-il, le style ordinaire du géographe, comme on peut le lire dans un article de Challenges publié le 27 septembre.

Ce journal s’est plongé dans son dernier ouvrage, Hyper-lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation, paru en février 2017. "L’homme qui vient de démissionner de la présidence du Conseil supérieur des programmes, emblème des “pédagogistes”, y fait usage d’une grammaire et d’un style très personnels", écrit le rédacteur de l’article, qu’il illustre de quelques exemples.

Qu’on en juge ! "Je commencerai par l’analyse des hyper-lieux connectés et ubiquitaires les plus iconiques." Ou encore : "Toujours avec le souci d’objectiver en quoi ils appartiennent à un genre commun, que l’hyper-lieu emblématise, et en quoi leurs (nombreuses et importantes) différences spécifiques font sens." Ou ce passage sublime : "On trouve dans ce texte assertorique l’ensemble des grandes thématiques du néolocalisme et bien des alteractivistes des alter-lieux adhéreraient à nombre des pétitions de principe qu’il contient – ce qui conforte mon hypothèse d’un air du temps/air de l’espace localiste critique."

"Le style est l’homme même", écrivait Buffon au XVIIIe siècle. Si l’on se risquait à appliquer cette formule à Michel Lussault, on serait un peu inquiet pour l’homme.

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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