Ouverture, ce lundi, des épreuves du bac. Une grande institution française, ce bac, et comme toutes nos institutions, carrément irréformable. Coûte horriblement cher, est affreusement démonétisé… mais pas touche ! Tous les ministres de l’Éducation s’y sont cassé les dents, sauf, bien sûr, ceux des années Mitterrand qui ont décidé de l’offrir à tout le monde. Non seulement on a atteint (à un point près) le chiffre mirifique de 80 % d’une classe d’âge au bac, mais il faut rappeler que l’ineffable Jack Lang proposait, lui, de le faire passer en cinq ans.

Jack Lang, « époustouflifliant » personnage qui, non content de cumuler alors les ministères de la Culture, de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire (de la Révolution), rêvait, en 1988, de diriger un grand ministère « de la Beauté et de l'Intelligence ». On lui offrit donc l’Éducation sur un plateau. C’est ainsi que naquit l’idée du bac à rallonges, histoire de garder les cancres au chaud. En gros, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de bénéficier du RSA (RMI, à l’époque).

Traditionnellement, donc, notre sacro-saint examen s’ouvre par les épreuves de philosophie. Autant de sujets que de filières…

Pour la série techno, inspiration j’te pique ton smartphone : « Seul ce qui peut s'échanger a-t-il de la valeur ? » ou « Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? »

Pour la série ES, inspiration gilets jaunes : « La morale est-elle la meilleure des politiques ? » ou « Le travail divise-t-il les hommes ? »

Pour la série S, tendance droits de l’homme et accueil des migrants en détresse : « La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? » ou « Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ? »»

Enfin, pour la série L, un potentiel détour par la SF avec « Est-il possible d’échapper au temps ? » (une enseignante expliquait, ce matin, à la radio, qu’il est bon, désormais, de faire référence aux séries télé et au cinéma), et un second sujet qui retient toute mon attention : « À quoi bon expliquer une œuvre d’art ? »

Je vous le confie : je trouve ce sujet particulièrement cocasse, sachant que cette démarche explicative occupe tout l’enseignement littéraire du second degré ! Je ne sais pas s’il est possible de faire autrement, mais il m’a toujours semblé hasardeux de vouloir parler « à la place » de l’auteur : qu’a voulu dire Machin, quelle était son intention, pourquoi ceci et comment cela… Quand on s’y est collé soi-même, on a déjà bien du mal à répondre, alors parler pour les autres…

Cette méthode d’enseignement a pourtant fait école, si je puis dire. Nous l’avons transplantée dans nos colonies, elle a même survécu avec plus ou moins de bonheur aux indépendances.

Je retrouve, ainsi, dans mes archives des devoirs transmis, dans les années 70, par un coopérant en Afrique de l’Ouest. Sujet : « Vous êtes un personnage quelconque du Cid. Faites le portrait physique et moral d’un autre personnage. »

Voilà le retour de Joseph :

« Oh ! ma chère fiancée Chimène, je songe toujours à toi.

Elle est pourvue d’une corpulence moyenne, d’un teint clair… Son nez respire toujours un air pur… Ses petits pieds musclés se chauffent dans des bouts carrés… C’est la fille rare de Castille, d’un mètre soixante de taille.

Portrait moral :

Les choses lui sont fraîches en mémoire : elle a mémorisé l’histoire de la vie du père de son fiancé. L’avez-vous entendu parler français, on dirait le génie de Voyéla ; faire les maths, on dirait la fille de Pitazore. Aussi plus polie que le lézard, elle est aimée par tous les cavaliers… »

Sujet de dissertation : que vous inspire ce texte ? Quelles conclusions en tirez-vous ?

C’est à la fois très drôle et plein de poésie, comme tous ces textes qui me sont passés entre les mains. On y trouve une improbable mixture à base de culture locale et d’enseignement inepte (le Cid !). Reste que c’est beaucoup mieux écrit que la plupart des copies actuelles où l’on ne compte plus fautes d’orthographe ou de syntaxe…

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17 juin 2019 à 20:07

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