[ENTRETIEN] « Des normes internationales, intangibles interdisent l’euthanasie »

L'ECLJ saisit trois instances des Nations unies contre la proposition de loi sur « la fin de vie ».
Nicolas Bauer vignette

Nicolas Bauer est chargé de plaidoyer au Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), organisation internationale non gouvernementale fondée en 1998 et dédiée à la promotion et la protection des droits de l’homme en Europe et dans le monde. Le 8 avril 2025, l’ECLJ, aux côtés de près de 8.000 citoyens, a saisi trois instances des Nations unies (ONU) au sujet du débat français sur la fin de vie.

Raphaëlle Claisse. Pourquoi vous opposez-vous à la proposition de loi relative à la fin de vie déposée par le député Olivier Falorni ?

Nicolas Bauer. La proposition de loi Falorni prévoit la légalisation de l’euthanasie et de l’assistance au suicide. C’est son seul et unique objectif. Le développement des soins palliatifs et d’accompagnement, qui est évidemment indispensable, fait finalement l’objet d’une proposition de loi distincte, déposée par la députée Renaissance Annie Vidal.

L’âge, la dépendance, la maladie ou encore le handicap ne font pas perdre sa dignité à une personne. La société a le devoir d’aimer et de prendre soin de toutes les personnes vulnérables. L’interdit de tuer ces personnes est une règle universelle et lever cet interdit ne sera jamais une solution.

La proposition de loi Falorni fait disparaître les conditions dites « strictes » de l’« aide à mourir » qui étaient présentes dans le projet de loi d’avril 2024. Ce texte prétend créer une forme de « droit opposable à mourir » et un délit d’entrave à l’euthanasie, sur le modèle du délit d’entrave à l’IVG. Les professionnels de santé seraient au cœur du dispositif d’euthanasie et d’assistance au suicide, ce qui bouleverserait leur métier, centré sur le soin.

Je vous invite à lire l’avis, paru le 3 avril, du Collectif Démocratie, Éthique et Solidarités, dont je fais partie. Cet avis est très complet et sera complété, le mois prochain, par un ouvrage collectif dirigé par Emmanuel Hirsch, Fins de la vie, à paraître aux Éditions du Cerf.

 

R. C. Comment comptez-vous vous y prendre ?

N. B. Nous avons d’abord commencé à travailler le sujet sur le fond, notamment à l’occasion de la Convention des droites contre l’euthanasie, organisée par Marion Maréchal et Laurence Trochu en 2023. C’était une bonne réponse à la fameuse Convention citoyenne sur la fin de vie, dont une partie des membres a dénoncé une manipulation.

Nous avons, aussi, examiné d’où vient la revendication de l’euthanasie. Elle est directement issue des courants eugénistes anglo-saxons. Ces mouvements ont eu autrefois une première traduction politique avec l’expérience nazie. Aujourd'hui, la demande d’un « droit à mourir » est une seconde traduction politique, plus libérale mais aboutissant au même résultat : l’élimination des personnes les plus vulnérables. Ces dernières seraient dans « un état sous-humain ou infra-humain », d’après une fondatrice et théoricienne de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), Odette Thibault. Je vous invite à lire, sur ce sujet, l’enquête de Grégor Puppinck publiée en 2024, La Promotion de l’euthanasie au XXe siècle.

L’ADMD a réussi à s’imposer dans le débat public, aujourd’hui, en se donnant une image lisse. Elle a même façonné la sémantique du débat, avec l’expression d’« aide à mourir ». J’ai eu l’occasion d’en débattre avec Pierre Juston, administrateur de l’ADMD, sur le média Le Crayon.

Depuis que le texte est en discussion au Parlement, l’essentiel de notre plaidoyer consiste à proposer des amendements. L’un des sujets que nous avons fait émerger est celui des pharmaciens, à leur demande. Ceux-ci interviendraient en réalisant la « préparation magistrale létale » et en délivrant cette substance en officine ou au sein d’un établissement de santé. Ils sont au cœur du dispositif et, pourtant, ce sont les seuls professionnels de santé qui seraient exclus du droit à une clause de conscience.

Enfin, cette semaine, nous avons saisi trois instances de l’ONU : le Comité des droits des personnes handicapées, l’Expert indépendant sur les droits des personnes âgées et le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées du Conseil des droits de l’homme. Nous aimerions que ces instances rappellent à la France l’interdiction fondamentale et internationale de l’euthanasie et qu’elles initient une procédure d’enquête sur les pays ayant légalisé l’euthanasie.

7.939 Français se sont associés à la saisine : il est toujours possible de s’y associer en signant la pétition « L’ONU doit rappeler que l’euthanasie viole les droits fondamentaux », car nous enverrons à l’ONU une mise à jour du nombre de signataires, courant mai 2025. Nous approchons les 10.000 signatures.

R. C. Avez-vous bon espoir que cette saisine aboutisse ?

N. B. Si nous avons choisi de nous adresser à ces instances, c’est que nous savons qu’il est possible que la saisine aboutisse. Nous les avons identifiées comme sensibles à la question de la fin de vie. Par exemple, le Comité des droits des personnes handicapées a recommandé au Canada, le 21 mars 2025, d’abroger l’euthanasie des personnes handicapées. C’est aussi ce même Comité qui avait ordonné au gouvernement français de ne pas euthanasier Vincent Lambert, en 2019.

De même, il y a quelques années, c’est le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées qui avait dénoncé l’euthanasie des personnes handicapées, en expliquant que « si toutes les personnes malades ou présentant une incapacité, qu’elles soient ou non en phase terminale, avaient accès à la mort assistée, la société pourrait en conclure que la mort vaut mieux que la vie avec un handicap […]. Les personnes handicapées pourraient décider de mettre fin à leurs jours en raison de facteurs sociaux, tels que la solitude, l’isolement social ou l’absence d’accès à des services de soutien de qualité […]. Les personnes handicapées, notamment âgées, pourraient être exposées aux pressions explicites ou implicites liées à leur situation, y compris aux attentes particulières des membres de leur famille, aux pressions financières, aux injonctions culturelles et même à des mesures coercitives. »

Des normes internationales, intangibles et supra-légales, interdisent absolument et sans exception l’euthanasie et l’assistance au suicide. Elles sont rappelées dans notre pétition. La France a librement adhéré à ces normes en signant plusieurs traités internationaux, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les instances que nous saisissons sont chargées d’examiner les lois et pratiques des États au regard de ces normes, en ayant une attention particulière pour les personnes vulnérables, qu’elles soient âgées, handicapées ou malades.

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Raphaelle Claisse
Journaliste stagiaire à BV. Etudiante école de journalisme.

Vos commentaires

48 commentaires

  1. Monsieur Bauer rappelle à juste titre la recommandation du Comité de ne pas euthanasier Vincent Lambert, mais le gouvernement, comme toujours, se réfère aux textes internationaux quand ça l’arrange et s’assoit allègrement dessus quand les choses ne vont pas dans son sens, comme ce fut terriblement le cas pour Vincent Lambert. Honte sur eux !

  2. Le suicide c’est effacer la mort, la grande mort, la mort à soi-même qui est le sens de la vie.
    L’effacement du sens de la vie est un suicide civilisationnel.
    Vous autres qui revendiquez un droit personnel en impliquant toute la société vous ne savez pas ce que vous faites.

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