[EDITO] Camille et Constance, symboles de la révolte paysanne française

fille dans les champs

Elles s’appellent Camille et Constance. Elles resteront les symboles de cette révolte paysanne que l’on dit désormais éteinte. Camille, 12 ans, était venue, avec ses parents, défendre l’agriculture qui ne veut pas mourir. C’est elle qui a trouvé la mort, avec sa mère, sur un barrage, fauchée de plein fouet par un chauffard sous OQTF. L’impéritie migratoire est venue catapulter l’impéritie agricole.

Camille et sa mère Alexandra ont été enterrées dans l’église Saint-Jean de Teilhet, dans la stricte intimité familiale, comme l’on dit quand on veut éloigner journalistes et politiques, mais plus de mille personne se sont pressées dans le petit village ariégeois. Faute de place à l’intérieur, beaucoup ont été forcés de rester sur le parvis. C’était un peu l'agriculture française qu’on enterrait.

L’autre fillette, Constance, est de deux ans son aînée. 14 ans, l'âge de Lucie, la grande sœur de Camille, aujourd'hui seule avec son père, Jean-Michel, gravement blessé sur le même barrage. Un petit reportage de France Bleu Périgord montre Constance, la bien nommée, s'activant dans la ferme, en l’absence de ses parents partis dans les convois visant Rungis. Elle s'occupe des vaches avec l’aide de son grand-père Christian. Constance, grâcieuse et souriante, explique bien volontiers son emploi du temps : le matin, réveil à 7h30. Elle apporte du foin aux bêtes avant de partir à l’école. Retour à 16h30, d’abord les devoirs, puis la traite jusqu’à 19h30. Elle sait faire, « c’est pas compliqué » puisque, explique-t-elle avec une simplicité candide, « depuis qu' [elle est] petite, [elle] aide ».

« Vous pouvez lui confier un travail il sera fait ! » Commente fièrement son grand-père.

 

La vidéo de la mignonne blondinette a rencontré un immense succès sur les réseaux sociaux, touchant le cœur des internautes. Eliot Deval, sur CNews, en a parlé. Les enfants qui aident leurs parents à la ferme tout en menant de front leurs études étaient jadis monnaie courante - mon propre père, étudiant en médecine militaire à Santé navale, passait ses vacances, l’été, dans les champs à faner avec ses frères. Ces trois générations sous le même toit s’entraidant, sans misérabilisme et avec beaucoup d’affection familiale, sont, aux yeux des urbains éberlués, une faille spatio-temporelle, comme disent les auteurs de science-fiction, qui les renvoie un siècle en arrière.

Quelques jours auparavant, Sandrine Rousseau, dans une nouvelle offensive médiatique, reparlait du « droit à la paresse » et le président de la République mettait les émeutes de juin sur le compte de l’oisiveté et du manque de loisirs. Quelques esprits chagrins de gauche ont du reste trouvé « inquiétant », commentant la vidéo avec Constance, que tant d'internautes s'émerveillent de voir travailler des enfants... Attendu que les miens remplissent (trop rarement à mon goût) le lave-vaisselle, aurai-je bientôt un contrôle de l'URSSAF pour emploi de serveur non déclaré et exploitation de mineurs ? On comprend mieux qu’au-delà du modèle économique, c’est tout un mode de vie paysan, un devoir de l'effort, qui sonne, dans l'état d'esprit actuel, comme une anomalie.

Qu’ont obtenu les agriculteurs ? À dire vrai, pas grand-chose. Des lignes de crédit conjoncturelles - comme s’il s’agissait d’une grêle ou autre catastrophe naturelle -, rien de fondamentalement structurel. Il aurait fallu renverser la table, ceux qui nous gouvernent se sont contentés de changer la couleur des serviettes. Mais en même temps, c’était eux qui avaient mis le couvert. Il est question de dérogations (pour les jachères), de pauses (pour Écophyto), de moratoire (sur Mercosur) ; bref, on met le pied sur la pédale de frein, on laisse ceux qui criaient un peu trop fort reprendre leur souffle, mais il n’est question ici que de soins palliatifs…

La paysannerie française a aujourd’hui ses martyres et ses combattantes - parfois, comme on le voit, des fillettes -, les Français qui lui ont exprimé leur soutien dans les sondages ou sur le bord des routes, en applaudissant avec plus d’enthousiasme les tracteurs que les vélos du Tour de France, ont fait se lever, à leurs côtés, une autre petite fille, dont le nom rime justement avec Constance : « la petite fille Espérance », comme l’appelle Charles Péguy, l’espérance que l’opinion publique n’oubliera pas la séquence et ne les laissera pas tomber : c’est bientôt le Salon de l’agriculture, qui sera peut-être le second round de la bataille. Nous serons là au rendez-vous pour les soutenir.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

44 commentaires

  1. Décidément, c’est l’ASNOM ici! Moi aussi, ancien Navalais, j’aidais mon oncle à la campagne pendant les vacances d’été. Il était mineur aux Houillères de Provence, mais comme beaucoup de gens de la campagne, il avait hérité de quelques lopins qu’il cultivait lui-même. J’ai appris avec lui la greffe de la vigne, la culture des haricots verts et des tomates. Nous sommes tous liés à la terre de France, et tous nous souffrons de la voir malmenée au travers des hommes, des femmes et des enfants qui la font vivre.

  2. Cette ado est entrée dans la vraie vie celle que lui enseigne ses parents , elle connait déjà la valeur travail , ce qui ne l’empêche pas d’étudier . C’est cela la vraie FRANCE , celle que les gauchos de tous poils ne connaissent pas préférant la paresse puisque c’est un droit .

  3. Un signal fort! Mortes pour RIEN!…ou peut-être pas. Ça me fait penser au film « Que la fête commence » avec à l’horizon les prémices de la révolution.

  4. Moi-même Navalais , j’adorais aider mon grand-père et mon oncle aux travaux des champs, pendant ce qui s’appelait alors les « grandes vacances ». D’ailleurs ces petits exploitants agricoles entretenaient des liens de solidarité avec leurs voisins agriculteurs en pratiquant largement l’entraide au moment des moissons particulièrement. Il s’ensuivait une somme de relations sociales faites d’amitié , de solidarité, de tolérance, de festivités simples, dans la joie de vivre malgré le lourd labeur et les aléas du climat. Bien loin de l’individualisme forcené de la société égoïste actuelle.

    • Oui. On était fatigués mais contents. Nous n’avions pas besoin de grand chose et n’étions pas envieux ni jaloux…même si nous étions « défavorisés » par rapport aux « gens biens » comme on disait chez moi. Mais c’était un autre temps.

  5. D’abord très touché par ce drame, et par le récit de cette jeune ado pleine de bonne volonté (un exemple pour notre jeunesse désoeuvrée) , une immense compassion à son égard . Et comme vous le soulignez dans ces lignes , il n’ était pas rare que les enfants ou petits-enfants de paysans ne passent pas leurs vacances d’été dans le sable en bord de mer, mais consacrent une large partie de leurs temps à aider leurs parents ou grands parents aux travaux des champs , j’en suis l’illustration même mais il y a de cela for longtemps.

  6. Très bel éditorial , très émouvant . Merci madame Cluzel . Il fallait parler de ces petits bouts de femme l’une Camille ,si injustement partie trop tôt avec sa maman Alexandra , pour défendre en fin de compte, un métier très noble mais aussi une certaine idée de la France. Paix à leurs âmes ! Et l’autre Constance déjà si courageuse à son âge prête à relever le défit, malgré les embûches et le drame pour certains de ne pouvoir surmonter toutes les exigences financières , normatives et administratives qui poussent certains au pire ! De magnifiques portraits .

  7. Que fait un scribouillard pour savoir quel temps il fera? il regarde son ordinateur. Que fait un paysan? il regarde le ciel et sa conclusion est meilleure car très locale.

    • Encore aujourd’hui, je regarde le ciel, la girouette du clocher, la forme et couleurs des nuages d’ou vient le vent et le vol des oiseaux. Pas besoin de météo à la télé ou radio. Le ciel : rouge le soir, espoir, rouge le matin chagrin… ce n’est qu’un exemple…

  8. Je note Gabrielle que votre père et moi même partageons la même histoire, durant toutes mes études à Santé Navale j’aidais mon père, horticulteur à Talence, chaque vacances scolaires, pour rempoter bégonias, géraniums, pétunias, arroser tout l’été les chrysanthèmes dont mon père disait que ce sont les plus belles fleurs.

  9. Il est peu d’articles, issus des écrans, que l’on imagine avoir été écrits à l’aide d’un porte-plume : pleins et déliés ne sont en effet plus de mise, quand cet article parvient à les suggérer.
    Belle contribution, avec cette lueur de l’aube, offrant à nos paysans un « presseticide » salutaire, pour contester la progression des temps de jachères offerts aux champs de réflexion.

  10. Les agriculteur ne sont pas dupes . Ils sont rentrés aux champs avec des miettes et ils le savent . Ils attendent de voir si quelque chose change et si les miettes vont leur être jettes . ., pour mieux repartir à l’assaut . Et à ce moment là , ils n’auront vraiment plus rien à perdre , même pas des miettes. Et c’est là où il faudrait que l’on soit vraiment à leurs côtés . Parce que comme eux, nous souffrons d’une UE devenue folle . Leur combat est le nôtre .

  11. Je retiens de cette campagne du monde agricole : « soins palliatifs… », votre formule, la plus juste. Une affaire à suivre de très près. Les pauses ne sont jamais des remises en question.

  12. Comme toujours, nos révoltés à juste titre ont eu le tort de faire confiance à leurs syndicats. Pourtant chacun sait ou devrait savoir que ceux-ci, dirigés par de gros exploitants souvent céréaliers, mènent des combats qui leur sont propres et ne concernent pas nos braves paysans qui triment quotidiennement pour survivre et réussir à nous alimenter avec les produits de qualité que nous aimons.

  13. Tous comptes faits ,l’éducation à « l’ancienne » ce n’est pas si mal que cela !! Et ça a fait ses preuves !! Je rappelle à Mme ROUSSEAU ce que me disait mon instituteur de l’ancien temps  » L’OISIVETE est mère de tous les VICES « 

    • Oui l’oisiveté c’est la mère de tous les vices , elle permet le trafic de drogue et s’organiser pour faire des mauvais coup. Les intermittents du spectacle en savent quelque chose qui se mobilisent en un tour de main pour constituer le gros des troupes de la gauche . Pendant cela d’autres bossent pour payer toute cette engence de bras cassés et de têtes vides !

  14. Il faut arrêter de parler « des agriculteurs et paysans » en général. Il n’y a rien de commun entre un céréalier de la Beauce et un petit éleveur du Cantal, entre une famille de petits vignerons du Midi et les producteurs de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne ou des Côtes du Rhône, il n’y a rien de commun entre un petit producteur de foie gras du Tarn et les grandes marques bien connues….L’agriculture est diverse, chaque paysan est à la fois solidaire et concurrent de son voisin, l’agro-alimentaire industriel domine tous les secteurs, les grandes coopératives viticoles investissent à l’étranger et tout le monde utilise la main d’oeuvre immigrée. Alors, croire que ces gens ne sont pas manipulés par le pouvoir en place et conduits par des structures bien huilées (FNSEA, Chambres d’Agriculture, Crédit Agricole, MSA….) c’est se bercer d’illusions.

    • je ne suis pas d’accord avec vous , je pense qu’ils y a un fil commun à ce monde rural , c’est le sens de devoir nourrir les humains et satisfaire ses papilles en participant à maintenir cet art du bien boire et de la gastronomiece qui n’est pas une mince affaire . Bien sûr chacun essaie de s’en tirer comme il peut et la conccurence est rude pour racheter des terres au voisin et permettre de faire un peu plus de rendement mais les tracasseries administratives et les contraintes communautaires de normes sont les mêmes et les agriculteurs ou éleveurs savent que rien n’est acquis définitivement . J’irais plus loin en vous disant que 8000 hectares de vignes devraient être arrachées dans le bordelais mais dans d’autres régions voisines celles ci valent de l’or ; Ce qui n’empêche pas que les gens soient solidaires entre catégories y compris par obligation et cela créé un autre état d’esprit que celui des métropoles . Que les agriculteurs emploient dans certaines région de la main d’oeuvre étrangère ponctuellement ,c’est un fait, mais je ne voit pas d’inconvénient tant que cela ne rejoint pas la politique de remplacement de population par des populations désoeuvrées et assistées .

      • vous avez le droit de penser que le monde agricole n’est pas « drivé » par les financiers de l’agro alimentaire et les « appatchiks » des syndicats agricoles et autres structures. Allez sue le terrain dans l’Hérault viticole , en Isère dans l’agriculture de montagne, dans les plaines céréalières de l’Ile de France et du Nord, sur les espaces légumiers et fruitiers de Provence (ou d’ailleurs), …enquêtez et réfléchissez.

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