De Deneuve à Gallimard : confession et contrition obligatoires !

auto-flagellation

En 1077, le roi des Romains, futur empereur germanique sous le nom d'Henri IV, s’en fut à Canossa s’humilier devant le pape Grégoire VII. Un millénaire après, on s’en souvient encore. Aujourd’hui, on va battre sa coulpe à la télé ; on publie des tribunes pour dire combien l’on regrette, qu’on n’avait pas voulu dire ça, qu’on a mal compris, que si on avait su, et puis que le temps, vous comprenez, avec toutes ces souffrances, etc., et bla-bla-bla.

Un pas en avant, deux pas en arrière et la censure qui bat la mesure…

Donc, depuis ce matin, on nous repasse en boucle le mea culpa de Catherine Deneuve publié par Libération et l’absolution donnée du bout des lèvres par la mère supérieure Caroline De Haas. Une semaine que ce cirque dure.

"J’ai effectivement signé la pétition titrée dans le journal Le Monde,“Nous défendons une liberté…”, pétition qui a engendré de nombreuses réactions, nécessitant des précisions", écrit Deneuve. "Oui, j’aime la liberté. Je n’aime pas cette caractéristique de notre époque où chacun se sent le droit de juger, d’arbitrer, de condamner. Une époque où de simples dénonciations sur réseaux sociaux engendrent punition, démission, et parfois et souvent lynchage médiatique. Un acteur peut être effacé numériquement d’un film, le directeur d’une grande institution new-yorkaise peut être amené à démissionner pour des mains aux fesses mises il y a trente ans sans autre forme de procès. Je n’excuse rien. Je ne tranche pas sur la culpabilité de ces hommes car je ne suis pas qualifiée pour. Et peu le sont."

Rien à ajouter, c’est la voix du bon sens.

En vérité, le plus intéressant, dans ce texte, et fort peu souligné, ce ne sont pas les excuses "auprès des victimes d’agression qui auraient pu être choquées". Non, c’est ce paragraphe : "J’ai enfin signé ce texte pour une raison qui, à mes yeux, est essentielle : le danger des nettoyages dans les arts. Va-t-on brûler Sade en Pléiade ? Désigner Léonard de Vinci comme un artiste pédophile et effacer ses toiles ? Décrocher les Gauguin des musées ? Détruire les dessins d’Egon Schiele ? Interdire les disques de Phil Spector ?"

"Ce climat de censure me laisse sans voix et inquiète pour l’avenir de nos sociétés", écrit Deneuve. C’est un sentiment que je partage grandement. De fait, on réécrit la fin de Carmen, on veut interdire La Belle au bois dormant, on saborde la campagne d’affichage pour l’exposition rétrospective du peintre Viennois Egon Schiele, une pétition réclame à New York le retrait d’une toile de Balthus exposée au MET… Chez nous, on épure les auteurs, quand on n’interdit pas tout simplement leur réédition, et la prestigieuse maison Gallimard s’incline.

Affaire Céline, encore… Le 9 janvier, Antoine Gallimard s’insurge : "On n'a pas à pousser les éditeurs à s'autocensurer. Il n'y a aucune raison de ne pas publier ces livres, il y a bien pire." Et, le 11, il capitule au motif que "les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour l’envisager [la réédition] sereinement". Et les conditions météorologiques aussi, peut-être ?

Courageux mais pas trop. Surtout, ne pas sortir des clous, comme Catherine Deneuve, au fond. Elle l’affirme pourtant : "Non, je n’aime pas ces effets de meute, trop communs aujourd’hui." À voir, car si elle se revendique une femme libre, elle ne tient pas vraiment à ce que les autres le soient. Ainsi, elle entend faire le tri parmi ceux qui la soutiennent.

Rappelant qu’elle a signé le Manifeste des 343 salopes (son bâton de maréchale féministe), elle poursuit : "C’est pourquoi je voudrais dire aux conservateurs, racistes et traditionalistes de tout poil qui ont trouvé stratégique de m’apporter leur soutien que je ne suis pas dupe. Ils n’auront ni ma gratitude ni mon amitié, bien au contraire. Je suis une femme libre et je le demeurerai."

En êtes-vous si sûre, Madame ?

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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