Cinéma : Les Crimes du futur, de David Cronenberg, film transhumaniste ?

Les Crimes du futur

Présenté en compétition au Festival de Cannes, le dernier film en date de David Cronenberg, Les Crimes du futur, fait déjà parler de lui. Nombreux souhaitent y voir le successeur de Titane, le long-métrage « transidentitaire » de Julia Ducournau qui avait remporté la Palme d’or l’année dernière. Voyons un peu ce qu’il en est, tentons d’analyser le film et la teneur générale de son propos.

Les Crimes du futur se présente tout d’abord comme un film d’anticipation, nous donnant à voir un monde apocalyptique, ruiné, presque désolé – précisons, au passage, que le choix des lieux de tournage s’est naturellement porté sur la Grèce…

Dans ce futur de moins en moins viable pour l’humanité, ravagé par la technologie et la pollution, l’individu a commencé à muter. La douleur physique a pratiquement disparu, tout comme la plupart des sensations. À tel point que beaucoup se mutilent le corps dans l’espoir de ressentir à nouveau quelque frisson. Ces mutations biologiques ont même développé chez certains des tumeurs inédites, de véritables organes fonctionnels adaptés aux évolutions de l’environnement.

Saul Tenser, figure incontournable du body-art, fait partie de ces individus. Son corps produit régulièrement de nouvelles tumeurs toutes plus grosses et impressionnantes les unes que les autres. Dégoûté de lui-même, sa démarche artistique consiste à reprendre le contrôle de son corps en se faisant tatouer et arracher publiquement ces « organes » par son assistante Caprice.

Le film nous raconte alors l’opposition entre ceux qui, comme lui, refusent l’évolution des choses jusqu’à mutiler leur propre corps, ou jusqu’à tuer leurs enfants déshumanisés (voir la séquence d’introduction), et ceux qui, a contrario, embrassent l’avenir et se réjouissent de constater que les nouvelles générations sont en train de développer un système digestif capable de dissoudre les matières plastiques.

Au fil d’un cheminement personnel, le héros Saul Tenser se résout à rejoindre le camp du progrès, accepte les évolutions biologiques et l’avènement d’un homme nouveau, et déguste avec soulagement, dans un plan final, le biscuit en plastique que ses nouveaux organes lui permettent dorénavant de digérer…

Si le personnage principal du récit assume son destin et sa déshumanisation progressive, le film est-il pour autant progressiste ? Contrairement à Julia Ducournau avec Titane, le réalisateur David Cronenberg est bien trop ironique pour tomber dans ce genre de discours béat ; l’ensemble de sa filmographie en atteste, en particulier La Mouche et eXistenZ.

Disons plutôt qu’à ses yeux, rien ne sert de lutter contre l’inéluctable. Le cinéaste est avant tout un fataliste, un résigné, comme beaucoup de gens de sa génération qui ont baissé les bras et perdu tout esprit de résistance face aux lubies que nous imposent les (post)modernes… De là l’un des nombreux parallèles que l’on peut faire entre Cronenberg et le personnage de Saul Tenser.

Pour sa quatrième collaboration avec Viggo Mortensen, le cinéaste canadien revient donc à ses sujets de prédilection des années 80 et nous propose, sur un mode expressionniste, un univers futuriste qui n’est pas sans rappeler l’imaginaire d’Enki Bilal et l’épouvante chirurgicale de la saga Hellraiser.

Les Crimes du futur, titre ambivalent selon que l’on se positionne en résistance aux évolutions ou en leur faveur, est sans doute trop bavard, trop alambiqué et défaitiste pour nous convaincre.

2 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Le meilleur de tous les films de science fiction jusqu’à ce jour reste «  Soleil vert »
    Ce film prémonitoire n’a pas fini d’être d’actualité .
    Ne le manquez pas il reste dans les archives .

    • J’aime beaucoup « Soleil vert » mais force est de reconnaitre que le film a un peu vieilli, notamment pour ce qui concerne les effets spéciaux. Prémonitoire ? Peut-être mais il faut bien avouer que le thème central (la surpopulation et le manque de ressources notamment alimentaires) était dans l’air du temps… Personnellement, je préfère « Blade Runner » voire « Minority report » qui prêtent plus à discussions sur notre possible avenir.

  2. encore un film qui ne me fera pas  » rêver » donc je m’abstiendrai d’y aller ! La réalité du quotidien suffit à générer la dose de stress suportable sans en plus aller payer pour une dose d’irrationalité défaitiste –

  3. « Ceux qui se réjouissent de constater que les nouvelles générations de machines robot sont en train de développer un système digestif capable de dissoudre les bulletins de vote non favorables à M. » C’est vraiment de la science-fiction !

  4. Un bel avenir qui se prépare pour l’humanité. Ce film est-il un signal d’alarme ou un simple constat de ce qui se prépare ?

  5. Si Hollywood fabrique toujours des films de science-fiction qui riment avec désolation, celui-là ne déroge pas à la règle. Que la génération des retraités d’aujourd’hui se sent mal à l’aise de constater et de devoir dire aux plus jeunes que « c’était mieux avant ». Nous vivions en harmonie avec la nature, nous ne prétendions pas contrôler cette nature. La technique d’aujourd’hui irait-elle trop loin ou/et dans la mauvaise direction ?

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