Tout semble sourire au couple Monlibert. Issu de ce que Chevènement désignait, jadis, comme la caste des élites mondialisées, il coule des jours heureux à Vienne, au sein d’une petite communauté d’expatriés français. Le mari est chef d’orchestre à l’Opéra, tandis que l’épouse occupe un poste envié à l’Institut et s’applique, dans les dîners, à subjuguer ses relations mondaines. Dans un tel microcosme où chacun scrute avec compétition et gourmandise les travers de son prochain et autres dysfonctionnements de sa vie privée, seules comptent réellement les apparences. Si bien que le jour où elle s’aperçoit qu’Henri la trompe avec l’institutrice de leur fils, Ève tombe des nues et envisage les représailles tout en ayant à cœur, malgré tout, de préserver l’image d’une union modèle.

Avec Les Apparences, le réalisateur Marc Fitoussi plonge dans le drame bourgeois pour croquer avec ironie l’habitus de ceux qui s’affichent bien trop souvent en société comme les porte-étendard de la vertu, de la générosité et de l’ouverture sur le monde. Jonglant avec complaisance entre le français, l’anglais et l’allemand et évoluant au quotidien dans des quartiers gentrifiés et hors de prix, protégés par moult digicodes, les Monlibert vivent dans un monde en suspension, coupés des réalités.

Ils ont, jusqu’au bout, fait le choix de la mondialisation en adoptant leur fils en Amérique latine. Une manière, sans doute inconsciente, de se satisfaire de leur propre image et d’exhiber fièrement aux yeux de leur communauté les sentiments ô combien charitables qui les meuvent. Ève et Henri ont évidemment scolarisé le petit Malo dans une école privée, du genre où les instit' sont sommés à tout instant de rendre des comptes à des parents d’élèves aussi riches que condescendants - chose impensable il y a encore dix ans.

Peu avares, les Monlibert n’éprouvent aucune difficulté à lâcher de gros billets aux commerçants en guise de pourboires mais ne s’empêchent pas pour autant de toiser la mère d’Ève, un peu trop prolétaire à leur goût – le bourgeois étant souvent un parvenu, il n’aime pas qu’on lui rappelle ses racines, sauf bien sûr quand il s’agit de s’afficher « de gauche » dans les dîners… On laissera bien échapper, çà et là, quelques rires moqueurs à l’égard de ces domestiques polonaises qui font mal leur travail, mais pas de quoi faire tout un plat…

Beaucoup comparent ce film au cinéma de Claude Chabrol de par le savant mélange entre drame bourgeois et thriller ; ce n’est qu’en partie justifié. Si le comparse de Truffaut et Godard a effectivement fourbi ses armes à travers la critique de la bourgeoisie, celle-ci ne l’intéressait que lorsqu’elle était encore de nature provinciale. Elle s’est, depuis, mondialisée, coupée davantage de son pays d’origine et de ses populations. En cela, le film de Marc Fitoussi possède son identité propre.

En dépit d’un subtil contraste entre la nervosité de Karin Viard et le jeu plus serein et intériorisé de Benjamin Biolay, choix de casting particulièrement judicieux, on regrette, hélas, une narration inutilement plombée par des rebondissements de plus en plus lourdingues et abracadabrants : à savoir l’introduction, dans la même affaire policière, de deux personnages extérieurs potentiellement criminels et, pourtant, non corrélés. Comprendre, par là, que les causes du malheur ne sont jamais uniques, certes. Mais on se dit, en l’occurrence, que c’est vraiment la faute à pas de chance…

3 étoiles sur 5

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09 octobre 2020 à 8:32

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