Cinéma : Le Temps des secrets, de Christophe Barratier

le temps des secrets

L’été dernier, nous avions conseillé à nos lecteurs de revoir le diptyque La Gloire de mon père/Le Château de ma mère, le chef-d’œuvre d’Yves Robert sorti en 1990 et adapté librement des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol.

En ce moment même sort en salles une nouvelle adaptation du troisième roman, Le Temps des secrets. Un film réalisé par Christophe Barratier à qui l’on doit, entre autres, Les Choristes, succès populaire incontestable de l’année 2004 qu’une certaine presse bobo traita avec condescendance.

Le cinéaste ayant fait montre, à l’époque, d’une réelle capacité à diriger de jeunes comédiens, nous étions pour le moins enthousiaste à l’idée de le voir se frotter à l’univers de Pagnol. Et quoi de plus logique, en effet, qu’il prenne la « succession » d’Yves Robert quand on sait qu’à son instar, il réalisa une version – certes discutable – de La Guerre des boutons en 2011.

Là où Yves Robert avait choisi, en 1990, de fusionner les récits du Château de ma mère et du Temps des secrets au risque de réaliser deux films en un et de casser le schéma classique d’un scénario – construit traditionnellement sur une structure ternaire –, Christophe Barratier a pris la liberté de « muscler certaines péripéties » du troisième roman, d’ajouter à l’ensemble quelques allusions aux deux premiers et de réorganiser le tout. Malin, le résultat donne le sentiment d’un scénario à la fois linéaire, riche et cohérent.

Nous découvrons alors un Marcel Pagnol vieillissant – rappelons que les romans ont été écrits lorsqu’il avait la soixantaine – venu se recueillir dans la grotte du Taoumé et se remémorer son enfance : les vacances d’été à la « Bastide neuve », le braconnage dans les collines aux côtés de Lili des Bellons, son entrée au lycée et, bien sûr, son premier amour pour la très prétentieuse Isabelle Cassignol.

Le film, disons-le, part avec un sérieux handicap. En abordant les mêmes péripéties qu’Yves Robert à seulement trente ans d’intervalle, et en choisissant de tourner dans la même maison de campagne, Christophe Barratier sait d’avance que son œuvre ne peut échapper à la comparaison, tous ses choix vont dans ce sens. Et force est d’admettre qu’il est très difficile de remplacer dans l’esprit du spectateur Julien Ciamaca, Joris Molinas, Julie Timmerman, Philippe Caubère, Nathalie Roussel et Didier Pain, le casting gagnant du diptyque de 1990. Individuellement, ces comédiens affichaient une parfaite aisance dans leurs rôles, c’est pourquoi leurs interactions nous paraissaient si authentiques. Philippe Caubère et Nathalie Roussel, couple mythique au cinéma, semblaient entretenir un lien télépathique, comme si personne d’autre au monde ne pouvait les comprendre aussi bien l’un que l’autre. Quant au tandem formé par Joseph et l’oncle Jules, parfaitement asymétrique dans le tempérament et l’imaginaire intellectuel, il se nourrissait des différences de caractère fondamentales de Philippe Caubère et Didier Pain. Tout cela avait été pensé judicieusement par Yves Robert.

Les acteurs du film de Christophe Barratier ne sont pas mauvais en soi – Mélanie Doutey et Baptiste Négrel s’en sortent avec les honneurs –, mais la dimension dramatique de l’histoire ayant été survolée au profit d’une comédie familiale (trop) légère – en atteste le bouffonnant François-Xavier Demaison –, leur jeu s’en trouve considérablement limité. On déplore au passage un manque d’effort sur les accents provençaux, en particulier de la part de Guillaume de Tonquédec et de l’acteur principal, Léo Campion, qui aurait été casté en région parisienne. Barratier condamne ainsi dès le départ la vedette de son film à faire moins bien que Julien Ciamaca en 1990 – c’est un problème.

Enfin, l’ensemble pèche par une mise en scène ampoulée à la musique envahissante et souvent inutile qui surligne l’émerveillement et nous fait regretter à tout instant le travail plus mesuré de Vladimir Cosma. Reste de belles images et un récit plaisant qui dénote avec la vulgarité de nos comédies actuelles.

2 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

2 commentaires

  1. Où sont ils les Lagneau, Oliva et les autres camarades de Marcel au Lycée Thiers ? Nos racines elles sont là aussi. La culture française elle est bien là. Vive l’oncle Jules, vive Joseph, le hussard noir de la République, et surtout Vive la France.

    • Très bien dit. Et il faut en finir avec le mépris du nord vis à vis du sud, plus sensible et de très antique civilisation humaniste Pagnol est un immense écrivain. Sans ses provinces que serait la France ? L’ENA ?

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