Vous souvenez-vous de cette illustration de livre d’histoire de jadis ? Charlemagne félicite les élèves issus de familles pauvres mais travailleurs, et blâme les fils de barons, fainéants comme les monarques d’une dynastie récemment déchue. Quelle belle allégorie de l’école de la IIIe République, juste parce que récompensant le mérite ! Rendons-lui cette justice, des Louis Germain y ont fait éclore l’intelligence de divers Albert Camus.

Aux États-Unis, la race remplace la classe sociale comme facteur d’injustice qui induit des inégalités. La discrimination positive devrait corriger ça, mais elle est sur la sellette. Harvard, sans doute l’université mondiale la plus prestigieuse, est visée par une action en justice initiée par un activiste, Edward Blum, et un groupe d’étudiants d’origine asiatique. Ils se sentent discriminés par les critères raciaux de recrutement de Harvard qui favoriseraient les Hispaniques et les Afro-Américains. L'injonction d’un juge fédéral devrait obliger l’université à remettre à ses opposants une masse de données substantielles afin d’analyser les distorsions faites aux critères purement objectifs de sélection. Même si la Cour suprême a admis que puisse être utilisée la préférence raciale, elle interdit les quotas et les discriminations individuelles. Or, la proportion des étudiants asiatiques demeure stable alors que le nombre de leurs candidatures a explosé…

Il faut bien sélectionner, Harvard ne peut pas offrir (ou plutôt vendre) de cursus d’étude à tous ceux qui en auraient envie. L’argent ou le pouvoir peuvent jouer un rôle, mais même si les seuls critères de sélection méritocratique étaient utilisés dans ces prestigieuses universités, un marché de substitution privé accessible aux seuls enfants de nababs serait créé. Nonobstant les imperfections de la métrologie du mérite qui ne relève pas de la science exacte, une décision sur des critères raciaux semble profondément injuste pour ceux qui sont évincés à cause de leur couleur de peau. Et le niveau des étudiants et des diplômes baisse.

Sélection ! Le gros mot est lâché, le concept est même présenté comme une nécessité, tant pis pour les pédagogistes. En France, nous avons un pire (80 % d’une classe d’âge au baccalauréat) qui côtoie un autre pire (un numerus clausus de médecin tellement restrictif que l’on en manque et doit en importer) ou un troisième (la sélection par tirage au sort). Des jeunes qui poursuivent jusqu’en licence des études qui ne débouchent sur rien, même pas sur un diplôme, et des grandes écoles qui, pour la majorité, ne recrutent que sur la capacité de bachotage : mémoire, imitation, résistance au stress. Certains établissements ont aussi mis en place des cursus d’accession parallèle pour faire de la discrimination positive. Que nous sommes loin du mythe de la méritocratie républicaine !

Il y a une profonde malhonnêteté à ne pas, dès l’adolescence, confronter un jeune avec la vie en ce qu’elle a parfois de cruel ou d’injuste. La sélection fait partie des mécanismes du fonctionnement social. Rendre ces critères les plus objectifs possible, avec l’humilité de savoir que c’est un brin illusoire, est bien sûr essentiel, de même que permettre aux vrais nécessiteux méritants de s’affranchir des contraintes économiques qui brideraient leurs ambitions. Mais vendre à des jeunes l’illusion d’un monde où tous peuvent accéder à des études supérieures débouchant sur des emplois hautement qualifiés est un mensonge inepte et révoltant. Et cessons d’imaginer que la discrimination positive résout le moindre problème.

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28 novembre 2017 à 19:39

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