Carlos Ghosn ? Emmanuel Macron aux abonnés absents !

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C’était évidemment la conférence de presse à ne pas manquer. En son exil beyrouthin, le chef d’entreprise déchu s’adressait au gratin des journalistes internationaux, ce mercredi 8 janvier 2020. Le simple fait qu’il soit parvenu à s’extirper de son assignation à résidence au pays du Soleil-Levant tient du miracle ; enfin, pas tout à fait. L’organisation d’une cavale à vingt millions de dollars n’est pas précisément à la portée du premier venu.

Exfiltré dans une malle, avant de se la faire, passant de jet privé en aéroport discret, au nez et à la barbe d’un État peu connu pour son laxisme judiciaire, voilà qui ne peut que forcer l’admiration, surtout ici, en cette France ayant plutôt tendance à célébrer les voyous que les flics. C’est ainsi. On a fait des films sur Cartouche, Mandrin et Mesrine ; pas sur les argousins les ayant ferrés.

Carlos Ghosn, donc. Impérial, s’adressant tour à tour à la presse en anglais, arabe et français. Avec assurance, mais sans trop de morgue non plus. Et, surtout, avec toute la nécessaire diplomatie d’usage. Tout d’abord, ne pas mettre le Liban dans l’embarras, même si les intérêts économiques japonais ne sont qu’anecdotiques au pays du Cèdre. Et parler le moins possible de la France… quoique.

On notera que sa défense est assurée par Anne Méaux, fondatrice d’Image 7, agence de communication spécialiste du gros temps. C’est elle qui a tenté de sauver, en vain et malgré lui, les intérêts de François Fillon, durant la campagne présidentielle de 2017. Là, on voit qu’au contraire du candidat malheureux, elle a affaire à un professionnel autrement plus aguerri.

Ainsi, nous affirme le fugitif, les facilités, avantages et autres petits accommodements que la Justice lui reproche n’auraient pas été possibles sans la signature des hauts dirigeants de Nissan, entreprise qu’il dirigeait en cette alliance conclue avec Renault. Mais « alliance » ne signifiait pas « fusion », tel qu’il le rappelle à de nombreuses reprises. Tout comme il fait de même quant à l’état financier d’alors du constructeur japonais, proche de l’agonie.

Il est un fait que Nissan fut redressé de main de maître, même s’il est licite de demeurer sceptique quant à sa philosophie entrepreneuriale. Nous sommes bien loin de l’éthique de la famille Peugeot et l’on sent bien que la doctrine sociale de l’Église propre à la dynastie sochalienne n’est pas du genre à troubler son sommeil.

Et cette France, plus haut évoquée ? C’est là qu’il lance les piques les plus discrètes, mais pas les moins acérées, lorsqu’il évoque la loi Florange, globalement passée inaperçue, hormis de nos confrères de la presse économique. Il s’agit alors, en 2015, de renforcer la participation de l’État français dans toutes les entreprises dont elle détient une part de capital.

Résultat ? Si cette loi est appliquée, les partenaires japonais de Nissan, même si détenteurs de 15 % des actions de Renault, se retrouveraient privés de droit de vote au conseil d’administration du consortium. Carlos Ghosn est évidemment contre cette mesure, au contraire de son interlocuteur, un certain Emmanuel Macron, alors patron de Bercy sous le règne de François Hollande. Du coup, les Japonais perdent la face, courbent l’échine, n’en pensent pas moins et, surtout, préparent leur revanche.

Quand, cette même année 2015, la loi Florange passe aux forceps, le divorce est déjà consommé et la confiance rompue entre des Français un peu trop conquérants, se croyant toujours à l’époque du complexe militaro-industriel gaullien, et des Japonais un brin trop susceptibles, car humiliés d’avoir vu « le petit Renault redresser le grand Nissan », pour reprendre les propres termes de Carlos Ghosn. C’est aussi ce que ce dernier a tenté de nous dire aujourd’hui. Pris en otage entre un duel d’État à État, notre homme a beau jeu de prétendre que Tokyo, ne parvenant pas à se débarrasser de l’encombrante tutelle parisienne, a préféré le sacrifier, lui, dans les ubuesques conditions judiciaires qu’on sait.

On notera que les journalistes français étaient peu présents et fort peu bavards lors de cette conférence aux allures de règlement de comptes. Quant à l’Élysée, il demeure plus que discret. Ces choses écrites, on comprend mieux pourquoi.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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