Canal de Suez : un seul navire s’échoue et l’économie mondiale craint de sombrer…

EVER GIVEN

 

 

Il est parfois des incidents, a priori anodins, qui en disent long sur ce que devient le monde. Un seul exemple ? Le porte-conteneurs Ever Given, propriété d’un armateur japonais dont la société est basée à Taïwan, qui vient de s’échouer dans le canal de Suez. Rien de susceptible, en bonne logique, de faire les gros titres des médias. Et pourtant…

Ainsi ce monstre des mers est-il en train de bloquer une bonne partie du commerce international, sachant que le canal en question, creusé en 1869 par Ferdinand de Lesseps – comme quoi les Français n’ont pas fait que de vilaines choses en Afrique –, assure à lui seul le transit de 12 % des échanges de la planète, soit 19.000 bateaux par an. Et un unique naufrage de créer un gigantesque embouteillage de près de deux cents navires de semblable tonnage ; ironique, n'est-il pas ?

Dans la Grèce antique, l’une des principales tentations menaçant l’humanité se nommait l'« hubris » ; soit la « démesure ». Ne dit-on pas que Zeus « commence à rendre fous ceux qu’il veut perdre » ? D’aucuns y verront peut-être un signe, sachant que depuis une vingtaine d’année, la taille de ces porte-conteneurs a plus que triplé, tel que rappelé dans Le Monde de ce 26 mars. D’où le gabarit gigantesque de l’Ever Given qui, fort de ses 400 mètres de longueur sur 59 de largeur, soit l’équivalent de quatre terrains de football, culmine à 60 mètres, soit la hauteur d’un immeuble de vingt étages. Capable de transporter 22.000 containers, le mammouth échoué pèse près de 220.000 tonnes.

Inutile de préciser qu’on ne saurait remettre à flot un engin pareil le temps d’une pause cigarette. Ce qui n’empêche pas Mohab Mamish, conseiller particulier en affaires maritimes du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien, de faire preuve d’un optimisme des plus touchants, l’opération devant, à l’en croire, ne pas excéder « 48 à 72 heures maximum » : « J’ai l’expérience de plusieurs opérations de sauvetage de ce type et, en tant qu’ancien président de l’Autorité du canal de Suez, j’en connais chaque centimètre carré. »

On ignorait que Tartarin avait des cousins du côté du Caire. Fortuitement, d’autres experts, sûrement moins rêveurs, ceux de la société néerlandaise SMIT Salvage, mandatée par les propriétaires du bateau en question, affirment de leur côté : « L’opération pourrait prendre des jours, voire des semaines. » Au rythme où vont là-bas les choses, compter en mois ne serait peut-être pas de trop.

En attendant que soient vidés les réservoirs du porte-conteneurs, en évitant une catastrophe écologique, et sa cargaison débarquée afin de pouvoir enfin remorquer la bête vers d’autres horizons, les cours du pétrole viennent de fortement grimper à la hausse. Sans compter la panique de sociétés travaillant en flux tendus, c’est-à-dire sans stocks, et qui craignent désormais pour leurs approvisionnements…

Toujours plus grand, toujours plus haut, toujours plus… Même si comparaison n’est pas raison, voilà qui évoque le slogan qu’on prêtait jadis aux constructeurs du Titanic : « Même Dieu ne pourrait le couler… » Le début du siècle dernier annonçait la prédominance d’un génie humain censé triompher de tout. Las, le géant de fer toucha le fond en 1912 et l’Europe avec, deux ans plus tard. Aujourd’hui, encore la même histoire avec la fin de cette dernière, pronostiquée au lendemain de la chute du mur de Berlin, pour laisser place à la mondialisation heureuse, l’effacement de la politique à l’ancienne et des religions révélées au seul profit de celle du consumérisme généralisé.

Et dire qu’il aura fallu qu’un simple rafiot, fût-il aux dimensions hors normes, pour nous rappeler à quel point les constructions humaines sont fragiles…

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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