[BD] Bienvenue à Pandemonia, ou l’enfer du développement personnel

Bande dessinée : même l'enfer, c'était mieux avant !
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Le neuvième art nous réserve parfois d’excellentes surprises, tel ce remarquable Bienvenue à Pandemonia, signé Diego Agrimbau au scénario et Gabriel Ippólliti au dessin. Sont-ce les origines argentines du duo qui donnent à cette bande dessinée sa saveur toute particulière ? Ce n’est pas impossible, tant ce pays n’a jamais été avare de personnalités foutraques, leurs présidents au premier chef, du péroniste Carlos Menem au libertarien Javier Milei.

Ismaël Posta, le héros de cette histoire, gourou du développement personnel, n’est pas sans évoquer ces deux figures locales. D’ailleurs, ses méthodes de « coaching » ne sont pas sans rappeler leur populisme ébouriffé, rouflaquettes pour l’un et coiffure genre « j’ai oublié un doigt dans la prise » pour l’autre. Bref, c’est un matamore à qui tout semble réussir jusqu’au jour où une olive avalée de travers l’emmène pour un aller simple au royaume des enfers.

Les enfers gangrenés par la modernité

N’importe qui serait terrifié par un tel voyage ; pas lui, enivré qu’il est de sa propre personne. On l’aura compris, Ismaël Posta est un homme de son temps. Est-ce le cas aux enfers ? Non, pas vraiment, leur administration pléthorique et vieillissante peinant à s’adapter au flot sans cesse grandissant de leurs nouveaux hôtes. Car sur notre bonne vieille Terre, on ne cesse d’inventer chaque jour de nouveaux péchés : « Promoteurs d’escroqueries pyramidales, propagateurs de spams, escrocs en ligne, antivax, misogynes militants et eurosceptiques ». On comprend alors tout de suite mieux cette plainte d’un Lucifer en proie à la dépression : « Tout était plus clair, avant. On savait distinguer le bien du mal et il y avait seulement sept péchés capitaux… »

La géhenne envahie par le franglish

Pour tout arranger, l’enfer n’est plus épargné par nos maux contemporains. Les grèves sont incessantes, et même la sévère répression des CRS locaux ne parvient pas à calmer les syndicats. Les prisons sont pleines et les tribunaux surchargés. Résultat ? Une américanisation de la Justice permettant de plaider coupable afin d’obtenir des châtiments moins rudes, histoire de ne point mobiliser trop de personnel.

Pour tout arranger, les élites de l’enfer d’en haut qui n’ont que mépris pour les invisibles d’en bas, ceux qui se lèvent tôt pour travailler plus et gagner moins, finissent par perdre leur latin devant l’invasion d’un franglais aux limites du compréhensible. D’où cette sainte colère du démon Belial : « Non, mais écoute-moi ça, grooming, phishing, pinkwashing, whitewashing… Mais c’est quoi, ces conneries ! » D’un enfer l’autre, en quelque sorte. Mais dans celui qui nous occupe, Ismaël Posta finit par se trouver comme chez lui. Mieux : il a des idées sur tout et prétend rationaliser le management des ténèbres. Il faut licencier du personnel, apporter du sang neuf au « board », faire des économies d’échelle et, surtout, se montrer plus « corporate » tout en ne négligeant pas le « benchmark », ou un truc du genre.

Populisme infernal

Et puis, il y a le principal, ce « coaching », que notre nouveau converti – il s’est fait greffer une paire de cornes d’antilope, façon « discret et moderne qui ne se démode jamais » – entend inculquer à ses nouveaux amis. Là, le discours d’Ismaël Posta vaut son pesant de cacahuètes grillées au feu de la géhenne : « L’heure est venue de changer notre image de marque. Il nous faut un nouvel enfer, plein de liberté, d’espoir et d’optimisme. Et les responsabilités qu'ils n’ont pas su assumer, nous les assumerons, nous. Au travail ! »

Au final, Lucifer démissionne et se fait retirer ses cornes. En attendant de demander l’asile politique au Paradis ? Pauvre diable !

Picture of Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Rien compris à votre article sur Lucifer et le développement personnel ! Qu’avez-vous voulu dire ?

    • J’apprécie beaucoup Nicolas Gauthier mais il m’arrive, en le suivant, de me retrouver à faire du hors-piste ; c’est le cas aujourd’hui.
      Je veux bien croire que je suis « limite » mais jadis, quand je l’ai découvert dans Bistro Libertés, il m’arrivait de ne pas toujours tout assimiler. Faut dire que la proximité de l’autre Nicolas (Gardères) n’arrangeait pas la clarté des échanges.
      Ceci dit, la sensibilité et la justesse des propos de Nicolas Gauthier, particulièrement dans ses portraits, sont délicieux à lire.

  2. Déconcertant Nicolas Gauthier. Guère d’effet de surprise lorsqu’il nous concocte une bafouille sur le dernier album d’Astérix, mais sur ce coup on déboule en terre inconnue. Et bien sûr, sans aucune matière à récrimination: l’intérêt est toujours au rendez-vous, et le voyage des trois minutes de lecture nullement inutile. L’art de donner envie d’en savoir davantage.

  3. Si même le diable déprime, où va-t-on ? Il aurait confié à son psy, quelques larmes de cendres au bord des yeux, avec un sourire amer et désabusé : « l’enfer, ce sont les autres, les autres, c’est-à-dire… les humains.
    Vraiment Dieu s’est surpassé, chapeau l’artiste, je m’incline ».

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