Arnaud Guyot-Jeannin : « Le nationalisme est historiquement de gauche, mais s’est déplacé progressivement à droite… »
Dans votre essai, Critique du nationalisme, on voit bien la distinction que vous faites entre « patriotisme » et « nationalisme », le premier constat voulant que nous soyons tous issus de la terre de nos pères, tandis que le second aurait plutôt tendance à être une construction intellectuelle. À ce titre, ces concepts sont-ils forcément de droite ou éventuellement de gauche ? Ou n’ont-ils tout simplement rien à voir avec ces étiquettes ?
Je m’oppose au nationalisme moderne au nom du patriotisme traditionnel. Néanmoins, les deux sont souvent confondus. Il est vrai qu’il existe deux patriotismes, comme l’a bien vu Jean de Viguerie, dans son ouvrage historique majeur Les deux patries. L’un qui défend le jacobinisme révolutionnaire issu de 1789, et l’autre le « patriotisme traditionnel » qui renvoie à l’enracinement spirituel, ethnique et culturel des peuples de France dont le Moyen Âge catholique rend bien compte. Il faut rompre avec la vulgate « nationaliste » et en tenir pour la terminologie « patriotique » sans équivoques, dans un sens traditionnel auquel je faisais référence précédemment. Le préfacier de l’ouvrage, Alain de Benoist, a raison d’attirer aussi notre attention en affirmant, en complément : « Le nationalisme implique par définition la nation, tandis que le patriotisme peut s’appliquer à un plus grand nombre d’objets, antérieurs à l’apparition des nations : l’attachement au paysage natal, à la région d’origine, à la Heimat (qui n’est pas le Vaterland), sentiment aussi vieux que l’humanité elle-même. » Et le théoricien de la Nouvelle Droite de conclure : « Le patriotisme possède un caractère concret qui tranche avec le caractère abstrait du nationalisme enté sur la nation. » Pour répondre à votre question, le nationalisme est historiquement de gauche, mais s’est déplacé progressivement à droite, car il est aussi fondamentalement réactif.
À vous lire, on perçoit parfois l’impression chez vous une tendance consistant à idéaliser les temps anciens. Comme si, devant la décadence qui nous guette – ou pas, question de point de vue –, vous en appeliez au retour d’une certaine forme d’âge d’or. Procès d’intention ?
Non, je n’idéalise aucunement les temps anciens et ne me réclame aucunement « d’une certaine forme d’âge d’or ». Je sais, avec Jacques Bainville, que « tout a toujours très mal marché » dans l’Histoire. Il n’empêche que les sociétés traditionnelles ont moins mal marché que les sociétés modernes et postmodernes. Ne serait-ce que parce que les premières étaient orientées verticalement, alors que les secondes le sont horizontalement ! Nous vivons, aujourd’hui, des temps de confusion qui sont des temps d’inversion de la Tradition.
On sent chez vous une tentation pour une Europe fédérale, au sens noble du terme, car respectueuse de l’identité de chacun. Simple vœu pieux, en cette époque où l’ambiance serait plus à une Europe de la coopération entre peuples souverains ?
Dans un premier temps, aujourd’hui même, c’est-à-dire sur un délai court, je défends « une Europe de la coopération entre peuples souverains » face au déchaînement de la mondialisation libérale. Mais, justement, face à elle, dans un monde interdépendant et multipolaire traversé par de grands ensembles continentaux (Asie, Inde, Russie, États-Unis), devra se constituer une Europe fédérale ou Europe-puissance qui y résiste, s’affirme et défende ses peuples constitutifs sous peine qu’ils meurent. Une Europe des peuples opposée à l’Europe actuelle qui est une anti-Europe ! Une Europe intégrée aux antipodes de l’Europe hybride en cours qui mêle technocratisme et libéralisme, centralisme jacobin bruxellois et mondialisme américanocentré otanesque ! Cette Europe fédérale doit surtout exercer le principe de subsidiarité dit de souveraineté conjuguée et de compétence suffisante, qui veut que chaque décision soit prise à l’échelon le plus bas possible. Il ne s’agit donc pas de supprimer l’État mais de s’en doter à tous les niveaux (local, régional, national et européen). Promesse d’un Empire européen traditionnel et sacral, peut-être ?
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
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