Cette question est provocatrice mais elle a du sens et, au-delà d'Alain Finkielkraut, est susceptible de faire réfléchir.

Dans Valeurs actuelles, l'académicien essayiste et philosophe s'est longuement expliqué sur « Zemmour, Macron, islam, médias, Greta » et autres.

À la question « Avez-vous quitté la gauche, ou est-ce la gauche qui vous a quitté ? », il répond : « C'est parce que je suis de gauche que je ne suis plus de gauche. »

Pourquoi, alors que la gauche l'a déçu, ne dit-il pas tout simplement qu'il est devenu de droite ?

Michel Onfray aurait pu reprendre à son compte la déclaration d'Alain Finkielkraut et probablement l'aurais-je mieux comprise de sa part car, pour lui, sa vision de gauche était naturellement reliée aux humbles, aux modestes et aux exclus, accordée à une conception hugolienne de la politique et évidemment étrangère au socialisme d'aujourd'hui.

Non pas qu'Alain Finkielkraut ait été insensible à cette perception, mais son terreau et son histoire n'étaient pas les mêmes.

Pourquoi donc, alors que la gauche l'a quitté et qu'il a quitté la gauche, ne consent-il pas à s'avouer de droite ? Serait-ce trop sommaire pour un esprit complexe comme le sien ?

Pourtant, il dénonce rudement : « Gagnée par le multiculturalisme, la gauche universitaire, la gauche médiatique et aussi, hélas, une partie de la gauche de gouvernement ont abandonné la défense de l'idée républicaine et de la laïcité. » Il pourfend les néo-progressistes qui qualifient de populisme « l'exigence de sécurité et la volonté de la nation de persévérer dans son être ».

Ce n'est déjà pas rien qu'un tel réquisitoire mais, à lire l'ensemble de l'entretien, je ne vois pas ce qui aurait pu interdire à Alain Finkielkraut de se reconnaître de droite, tant sur les préoccupations essentielles de notre vie intellectuelle, politique et sociale, avec une oralité parfaite il se trouve en phase avec les principes d'une droite honorable dont le projet conservateur, de « demeurer », selon la belle expression de François-Xavier Bellamy, ne serait pas dégradé par un quelconque extrémisme, qu'il soit celui du verbe et/ou celui de la réflexion.

J'ajoute avec un peu d'ironie que sa perception de la Justice est aussi négative et approximative que beaucoup de responsables de droite qui en abusent.

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Pourquoi, alors, n'ose-t-il pas se proclamer de droite ? Attend-il qu'une personnalité éminente, telle la sienne, vienne proférer que « c'est parce que je suis de droite que je ne suis plus de droite » ?

Ce ne serait pas absurde, tant une droite contaminée par la gauche, doutant de ce qu'elle a de spécifique et d'irremplaçable, se complaît sinon à se renier elle-même, du moins à se fragiliser, à s'infléchir et à perdre de sa substance. Trop de Raffarin encore d'aujourd'hui et trop peu du Sarkozy de 2007 !

Pourtant, l'attitude d'Alain Finkielkraut est révélatrice car même s'il avait été tenté par l'aveu que je lui prête, je suis persuadé qu'il ne l'aurait pas admis, qu'il l'aurait tu.

Peut-être parce qu'on a encore honte de se qualifier de droite.

Parce que celle-ci probablement manque de courage intellectuel, d'identité forte et de talents incontestables.

Parce qu'elle désespère, à cause de la présidence d'Emmanuel Macron, de pouvoir inventer une voie propre et ne pas tomber dans une sorte de redondance républicaine.

Parce qu'elle a perdu la fierté d'avoir été la dépositaire des valeurs de liberté, de responsabilité et d'humanité mais sans que cette dernière soit le paravent dérisoire de l'impuissance, d'une stratégie du cœur pour pallier les faiblesses de l'esprit, de la conception et de la résolution.

Parce que, là où l'extrême gauche méprise peut-être la gauche mais s'efforce de lui mettre son épée idéologique dans les reins pour la secouer et la durcir, la droite est tétanisée par l'extrême droite au point de dénier les rares idées de bon sens que celle-ci a développées, de peur d'en être infectée.

Pourquoi Alain Finkielkraut a-t-il préféré cette saillie stimulante et paradoxale - être de gauche parce qu'il ne l'est plus - à l'affirmation de cette évidence, sans doute admise à charge par ses ennemis mais récusée par ses tréfonds et sa culture, qu'aujourd'hui il serait devenu de droite ? Un choc trop rude pour un monde trop conformiste ? Pire qu'une évolution : une révolution ?

La situation d'Alain Finkielkraut ne me passionnerait pas à ce point si elle n'était pas symptomatique d'une étrangeté préoccupante.

Même quand la gauche a radicalement déçu, qu'elle ne fait plus rêver et qu'on ne lui accorde plus la moindre confiance pour l'administration et la sauvegarde de notre pays, on ne va pas vers la droite. Tout devrait y conduire mais rien ne fait franchir le pas, le saut.

Qu'a-t-elle donc pour ne même pas parvenir, parfois, à retenir les membres de sa propre famille ? Quelle répugnance inspire-t-elle pour que les vrais insatisfaits, les transfuges lucides de l'autre ne consentent pas à la rejoindre ?

Tous ces adversaires d'hier, ces désillusionnés d'aujourd'hui chez lesquels on va puiser dorénavant l'argumentation la plus accablante contre la gauche et la plus stimulante et inventive pour la droite.

Je ne vais pas tergiverser.

Aussi, par un décret d'autorité solitaire, sans aucun scrupule mais avec conviction, et pour être honoré par ce compagnonnage, je décide qu'Alain Finkielkraut est de droite.

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27 octobre 2019 à 9:00

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