Mais pourquoi donc Nicole Belloubet a-t-elle éprouvé le besoin de revenir, dans une tribune publiée dans Le Monde, ce samedi 8 février, sur les propos pour le moins maladroits qu'elle a tenus après l'affaire Mila ? Craindrait-elle d'être victime, prochainement, d'un remaniement ministériel ? Quand on commet une bévue et qu'on s'est excusé une première fois, mieux vaut se faire oublier pendant quelque temps. Surtout que son argumentation aggrave son cas.

Alors qu'on apprenait que Mila était menacée de mort pour avoir tenu, sur les réseaux sociaux, des propos hostiles à l'islam et au Coran, notre Garde des Seaux, sur Europe 1, tout en rappelant que les menaces étaient inacceptables, avait déclaré que « l’insulte à la religion » constituait « évidemment une atteinte à la liberté de conscience ». Devant le tollé soulevé, elle avait fait machine arrière et reconnu « une erreur de formulation », affirmant notamment, sur Radio Classique, qu'« on a le droit de critiquer une religion, il n’est pas question de revenir là-dessus ».

Sans doute son mea culpa n'a-t-il pas suffisamment convaincu, puisqu'elle croit bon de s'expliquer longuement dans Le Monde : « Face à la caricature et à la polémique [...], il me semblait juste de dire le fond de ma pensée sur ce sujet qui enflamme notre société. » Elle a donc réaffirmé que « chacun peut critiquer comme bon lui semble une religion, une idée, un concept, avec les mots de son choix » mais qu'« on ne peut, en revanche, insulter les personnes, qu'elles soient croyantes ou non d'ailleurs ».

Dont acte. Elle a rectifié ses propos, regrettant « de ne pas avoir pu l'exprimer aussi clairement dans les quelques secondes qui lui étaient imparties [sur Europe 1] ». Aurait-elle l'esprit de l'escalier ? Le problème, c'est que son argumentation est boiteuse. Pour dénoncer l'usage des fatwas, elle ne fait pas allusion à la condamnation lancée, en 1989, contre l'écrivain Salman Rushdie, l'auteur des Versets sataniques, ni aux menaces proférées, en 2006, contre le philosophe Robert Redeker, ni à certaines pratiques dans des pays musulmans, ni, bien sûr, aux chrétiens d'Orient actuellement persécutés et massacrés. Non. Elle ne vise pas le Coran mais la Bible, pas l'islamisme mais le christianisme.

« Nous ne sommes plus au temps de Moïse, où le blasphémateur devait mourir lapidé par la communauté », écrit-elle, ignorant le Nouveau Testament. Elle s'appuie sur Voltaire et Jean Jaurès, qui avaient réprouvé l'intolérance des catholiques. Le premier prit la défense du chevalier de La Barre, officiellement condamné pour « impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables ». Elle s'abstient de mentionner que Louis XIV avait ordonné, en 1666, que le blasphème ne fût plus puni de mort et que l'évêque d'Amiens intercéda auprès de Louis XV pour tenter d'obtenir la grâce du chevalier. Quant à Jean Jaurès, il publia, dans L'Humanité, en 1904, un texte intitulé « Le martyre d'un libre-penseur, Étienne Dolet », humaniste de la Renaissance, qui vient d'ailleurs d'être réédité.

Force est de constater que notre ministre, qui ne doit pas être inculte, au vu de son parcours professionnel, remonte au déluge, ou presque, pour ne viser que le christianisme, oubliant, comme le rappelait Jean-Paul II, en 2005, aux évêques de France, que « le principe de laïcité auquel votre pays est très attaché, s'il est bien compris, appartient aussi à la Doctrine sociale de l'Église ». En ne faisant aucune allusion précise aux dangers que représente aujourd'hui l'islamisme, elle manifeste une forme de partialité et un déni de réalité qui ne siéent guère à un ministre de la Justice.

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09 février 2020 à 18:47

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