Tous les 21 janvier, les royalistes français célèbrent pieusement la mémoire du roi Louis XVI : tous les 21 septembre, nous sommes encore quelques-uns à travers le monde à commémorer la mort du « divin Maro », plus connu sous le nom de Virgile (-19 av. J.-C.). Deux dates hautement emblématiques. Si Louis XVI était le père de la nation française, Virgile, quant à lui, a longtemps fait figure de « père de l’Occident », selon le mot fameux de Theodor Haecker. À travers le premier, ce sont douze siècles d’Histoire de France qui se consommaient ; à travers le second, ce sont vingt-sept siècles de culture gréco-latine qui s’ouvrent à nous, car lire Virgile, c’est toujours garder en arrière-plan ses prestigieux modèles grecs.

Ce n’est pas ici le lieu de tresser des couronnes à l’auteur de l’Énéide, ni même de citer Paul Claudel, qui voyait en lui le plus grand génie de l’humanité, mais ce poète éminemment précieux qui aura contribué plus qu’on ne saurait le dire à façonner notre langue et notre civilisation, ce poète qui vaudrait à lui seul que l’on s’initie à la langue latine, chacun voit bien qu’il s’éloigne chaque jour davantage de notre horizon culturel et référentiel. Quel malheur, pourtant, si ce phare tutélaire venait brutalement à s’éteindre ! Amputés que nous serions alors d’une partie essentielle de notre être même, gravement affaiblis dans nos défenses immunitaires, nous deviendrions des proies plus faciles que jamais pour certains candidats à notre remplacement, qui s’offrent généreusement à combler le terrible vide qu’ils sentent s’élargir en nous, et qui déjà s’impatientent.

Ces seules considérations pourraient déjà suffire à sacraliser ce jour du calendrier, mais il s’y ajoute depuis quelque temps une raison supplémentaire, qui est la requalification en crime d’État d’une mort qui passait jusque-là pour banalement accidentelle. Lancée dès 1991 dans la revue L’Antiquité classique, sans cesse étayée et consolidée depuis par de nouveaux arguments, cette accusation que l’on aurait crue naguère impensable s’est si bien frayé un chemin à travers les halliers du scepticisme qu’elle apparaît dans la toute récente Virgil Encyclopedia (2013) comme la version aujourd’hui la plus autorisée de la mort de Virgile (entrée « Death of Virgil »).

Encore n’est-ce là que la partie émergée de l’iceberg, car ce meurtre odieux marquait en réalité l’aboutissement d’un long et héroïque combat mené par Virgile contre le « Jupiter » de son temps, cela grâce à un vaste système de brouillage littéraire lui permettant de sauvegarder sa liberté d’expression face à la meute des censeurs impériaux. Au péril de sa vie, certes, mais aussi pour le plus grand bonheur de ses lecteurs d’aujourd’hui qui voient une poésie vieille de 2.000 ans révéler de nouveaux trésors, et pour qui cette date du 21 septembre symbolise moins une mort qu’une seconde naissance.

1381 vues

20 septembre 2017 à 23:25

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.