21 avril 2002 : Jean-Marie Le Pen au 2e tour de la présidentielle…
C’était il y a tout juste 18 ans. Si proche, si loin. Nos gouvernants d’aujourd’hui étaient en culotte courte : Sciences Po, qu’ils avaient choisi comme n’importe quelle autre business school, devenait, redevenait, en un instant, un sanctuaire de la République, le temple de la raison, la statue de la Liberté, le rempart des droits de l’homme ! La péniche, cet îlot central de bancs de bois qui marque l'entrée de l’école, devenait une arche pour sauver la démocratie en danger, le lieu des nouvelles alliances, une salle de jeux de paumés. Les étudiants présents ces jours-là se souviennent de cette étrange quinzaine séparant les deux tours.
Les apprentis ministres, déjà, montraient de belles prédispositions. Ils empêchaient les cours et conspuaient ceux qui voulaient encore les donner ou les suivre ; les murs se noircissaient de slogans, d’exhortations, de mobilisations. Les Black Blocs fraternisaient avec l’Union centriste, chacun consolait les militants du MJS autrefois si maîtres d’eux et maîtres des lieux. Et l’UNI, syndicat étudiant de droite, donc ici d’extrême droite, était sommé de faire les bons choix, de donner les mots d’ordre, de prendre ses responsabilités.
Qu’il était loin de Saint-Germain-des-Prés, le peuple qui venait de voter ! Qu’il était incompréhensible ! Incorrigible ! Inéduqué ! Qu’il était temps de reprendre la main sur lui, de l’administrer, de le gouverner ! De le punir, aussi, en le délaissant au profit des immigrés et des banlieues, comme le fomentait déjà Terra Nova. On organisa, dans une superbe antithèse, une « journée morte d’action » : des corps allongés dans la péniche, faisant barrage à ceux qui encore trouvaient une raison de vivre, d’avancer, d’étudier. Mais bientôt, après Jospin, arrivé largement en tête du sondage organisé au sein de l’école, loin devant Chirac et laissant Le Pen aux oubliettes, Sciences Po retrouverait la majorité élective en faisant un choix radical, courageux, pour l’honneur : ici aussi, dimanche prochain, ce sera Chirac. Nous sommes en guerre. Et enfin, les jeunes gens de bonne famille, épris de gauche, retrouveraient le chemin de la réussite et répareraient la faute de leurs aînés.
Ce récit n’est pas une fable. Ni même un lointain souvenir. C’est la chronique toujours bien vivante des lieux où grandissent nos dites élites et où s’effondrent la voix des sans-grade, la liberté des peuples, la grandeur des nations. Qu’on en tire au moins une morale, à l’heure où s’annonce un gouvernement d’union nationale avec d’anciens de Sciences Po, mi-droite mi-gauche, à défaut d’être ni de l’une ni de l’autre. Mesdames et Messieurs les gouvernants, héritiers de Jospin et son « sentiment d’insécurité », de Chirac et de son humanité, gardez vos « pestes brunes », vos vapeurs « nauséabondes », vos « pinces à linge sur le nez » pour de véritables causes, de vraies urgences, de nécessaires combats : celui d’un peuple oublié qui a, plus que jamais, besoin de protection.
Bon 21 avril !
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