1959, la nuit de l’Observatoire : 5 – Mitterrand a disparu !

mitterrand

Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.

Impossible de cacher sous le tapis de l’actualité la bombe Rivarol (lire épisode 4). Toute la journée du 22 octobre, les coups de téléphone pleuvent au secrétariat de Mitterrand. En quelques heures, les médias sont passés des hommages unanimes à ce qu’un homme politique peut redouter de pire : le soupçon. La presse va-t-elle enquêter enfin ? Pas du tout, c’est la Justice qui s’en charge.

Robert Pesquet est immédiatement convoqué et reçu par le procureur, puis par un juge d’instruction. Le sénateur de la Nièvre est lui aussi entendu, puis confronté au cours de la nuit à son accusateur. Il a dans la journée déposé deux plaintes, l’une contre X pour tentative de meurtre, l’autre contre Robert Pesquet pour diffamation. La Justice fait surgir les faits. On apprend que Robert Pesquet n’était pas seul dans la voiture. Assis à côté de lui, un certain Abel Dahuron tenait le pistolet mitrailleur. Abel Dahuron connaît bien l’ancien député Pesquet : il est tout simplement le gardien de sa propriété en Normandie. Entendu le même jour par la police, Dahuron confirme l’ensemble des propos de Robert Pesquet. C’est lui qui a arrosé la voiture de François Mitterrand.

Les rédactions, ballottées de Pesquet à Mitterrand, ne parviennent décidément pas à s’affranchir des deux partis. Ce 22 octobre, jour de la parution de Rivarol, les journalistes sont prévenus dès le matin par un mystérieux correspondant anonyme : Robert Pesquet s’adressera à la presse le jour même, dans les locaux de son avocat Maître Dupuy, rue de la Pompe, dans le XVIe arrondissement de Paris. Sur place, la presse forme la cohue des grands jours. Affolé par l’ampleur de l’événement, Maître Dupuy recule et refuse de prêter ses locaux. La troupe s’ébranle donc derrière Robert Pesquet, à la recherche d’un café suffisamment vaste pour accueillir ce train inhabituel, mais on ne trouve rien. Robert Pesquet, suivi de sa meute de journalistes – tout un symbole -, revient alors dans le hall de l’immeuble de l’avocat. Nerveux, fébrile, l’ancien député reprend un récit qu’il répétera encore aux magistrats au palais de justice à 14 h 30. « Il faut vous dire que je connais bien Monsieur Mitterrand, précise-t-il aux journalistes. Je suis de longue date son adversaire déclaré. J’ai fait campagne contre lui, notamment dans la Nièvre, il y a quelques mois. Je ne lui ai jamais caché mon mépris mais, à mon grand étonnement, il m’a toujours fait des sourires. »

Le lendemain 23 octobre, le quotidien socialiste Le Populaire, encore groggy du coup reçu, ne sait trop sur quel pied danser. Il faut bien parler de l’affaire, mais comment ? Mitterrand est injoignable. Tout ce que Paris compte de journalistes politiques compose son numéro de téléphone pour connaître sa réaction, en vain. Assommé, anéanti, le sénateur se terre et ne répond plus. Pas de Mitterrand, pas d’informations, la faillite se poursuit. Faute d’éléments plus concrets, Le Populaire mobilise donc les idéaux de la gauche. Puisque Pesquet s’est depuis peu rallié à Tixier-Vignancour, à l’extrême droite du champ politique, et qu’il s’exprime dans Rivarol, le journal socialiste appelle sans beaucoup de fondements à la résistance contre le fascisme. « La démocratie mérite mieux », lance en une son éditorialiste Claude Fuzier, indigné. Peut-on croire le « journal fasciste Rivarol » ? Mais dans la foulée, Fuzier pare avec prudence toutes les éventualités, y compris celle d’un Mitterrand coupable. « Supposons que Monsieur Pesquet mente : comment le qualifier ?, écrit-t-il. Supposons qu’il dise la vérité : Monsieur Mitterrand ne vaudrait alors pas cher mais Monsieur Pesquet n’en recevrait pas pour autant un brevet de vertu pour le seul fait de s’être prêté à cette comédie. »

Fuzier danse sur le vide, renverse les rôles mais ne triche pas avec les faits. Le Populaire signale à ses fidèles lecteurs que Pesquet a révélé l’envoi d’une lettre à sa propre adresse, Poste restante, 206, rue de Vaugirard. Pesquet en a expliqué le contenu et l’objectif. « Dans cette lettre, je précise les conditions matérielles dans lesquelles se dérouleront les opérations, détaille Pesquet durant son point-presse. Je précise point par point le rendez-vous chez Lipp, l’itinéraire qui sera suivi par Monsieur Mitterrand, l’itinéraire de la voiture suiveuse, les conditions dans lesquelles Monsieur Mitterrand sortira de la voiture, sautera par-dessus la barrière et se réfugiera dans le jardin de l’Observatoire. » Cette lettre sera bien sûr présentée fermée à la Justice, le cachet de la poste faisant foi. (À suivre)

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

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