16 novembre 1917 : gouvernement Clemenceau !
Notre histoire est riche en hommes providentiels qui ont incarné la résistance, la résilience, le redressement, le salut ou la grandeur de la France. Le 16 novembre, Georges Clemenceau sera l'un de ceux-là en devenant le chef du gouvernement français, préféré à Caillaux. Ce dernier voulait la paix et le compromis. Le Tigre voulait la guerre et la victoire. Il a fait la première et a contribué à obtenir la seconde.
Sa résolution, son obstination, sa volonté indomptable, sa présence inlassable auprès des poilus, dans les tranchées, seront un exemple pour la nation. Sans nul doute, il aura joué un rôle prodigieux auprès des Français pour relever le moral des soldats et des civils. Churchill dira de lui : "Dans la mesure où un simple mortel peut incarner un grand pays, Georges Clemenceau a été la France" et le Kaiser Guillaume II dressera cet étonnant constat : "Si nous avions eu un Clemenceau, nous n'aurions pas perdu la guerre."
Toutefois, ce qui échappait manifestement à l'empereur allemand, c'est que les régimes qui s'appuyaient sur le peuple, républiques ou monarchies constitutionnelles, avaient été plus solides que les monarchies plus ou moins autocratiques. Or, Clemenceau aura surtout été un représentant exemplaire de ces régimes démocratiques.
Le président de la République actuel, qui est avant tout un artiste de la mise en scène, va donc mettre Clemenceau sur un pavois durant cette année qui nous amènera au centenaire de la victoire. D'une part, il y a pour cela des raisons objectives, et d'autre part, comme toujours chez les politiciens des temps médiocres, le souhait de s'identifier à des personnages des temps héroïques. Clemenceau fournit ainsi trois motifs de références : d'abord, il a rassemblé la gauche d'où il venait, et la droite par certains de ses choix, et par son autorité, sa poigne. Ensuite, il incarne le volontarisme, la capacité du politique de changer le cours des choses et l'état d'esprit d'un peuple par l'énergie du verbe. Enfin, il est le "Père-la-Victoire", celui que la légende peint en un vieillard plein de vitalité, que l'on va chercher lorsque le pays est au fond du trou, et qui parvient à l'en arracher. M. Macron, qui est très jeune, en retiendra surtout celui qui est inséparable d'une France qui gagne : de quoi séduire les chiraquiens et les sarkozystes.
Le récit national a besoin de ces légendes positives. Mais cette médaille a un revers qui consiste à se croire doté d'un jugement infaillible, même si au cours du temps on vient à en changer. L'« individu » Clemenceau l'a toujours emporté avec ses paradoxes sur l'homme d'État qu'il aurait pu être à la manière de Richelieu.
D'extrême gauche, proche des communards en 1871, opposé à Gambetta et à Ferry au début de la IIIe République, il sera radical-socialiste, hostile à la colonisation et favorable au progrès social, notamment en ce qui concerne les conditions et le temps de travail. Laïciste, il sera un partisan de la séparation de l'Église et de l'État, mais non un adversaire de la liberté d'enseignement. La liberté d'expression, l'abolition de la peine de mort, la réhabilitation de Dreyfus seront de ses combats. Président du Conseil et ministre de l'Intérieur en 1906-1909, cet homme de gauche se rendra célèbre par sa lutte contre le banditisme avec les Brigades du Tigre, mais ce renom sera terni chez les socialistes par la répression des mouvements sociaux. La troupe intervenait et n'hésitait pas à tirer.
Au lendemain de la victoire, jusqu'en 1920, où il manque l'Élysée et quitte la présidence du Conseil, l'action de Clemenceau aura fait de 1918 une victoire à la Pyrrhus : il sera devenu le "Perd-la-victoire", celui qui n'a pas empêché le redressement de l'Allemagne, qui s'est réjoui de l'effondrement de l'empire catholique des Habsbourg, sans percevoir le vide créé, et celui qui n'a pas persévéré dans sa volonté d'écraser le communisme en Russie. Le caractère n'avait pas surmonté toutes les contradictions. Vingt ans plus tard, le bilan positif était d'un coup effacé.
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