Sont-ils devenus fous ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser en apprenant la décision du gouvernement d’utiliser l’armée dans le dispositif de maintien de l’ordre à Paris contre le mouvement des gilets jaunes. Certes, le pouvoir s’empresse de préciser que les militaires ne seront pas "en première ligne". Comme si on était à la guerre de 14-18 avec des tranchées, une ligne de front et un arrière. La guérilla urbaine, puisqu’on commence à en être là, ignore ces notions.

Agnès Buzyn, qui doit s’y connaître en affaires militaires autant qu’un général de corps d’armée en toucher rectal, affirmait, ce jeudi matin, sur BFM TV, que "l’objectif, c’est que les militaires ne soient pas en confrontation directe avec les manifestants"… Bon, déjà, et sans vouloir faire mon savant, ça n’est pas un objectif, ça. C’est, au mieux, une contrainte, peut-être plus, même : un impératif. Ces militaires, précise le ministre, "sont simplement dédiés à la protection des bâtiments, cela va libérer des policiers qui sont devant les bâtiments". Nous voici donc revenus quatre ans en arrière, lorsque les soldats de l’opération Sentinelle avaient été transformés en vigiles et, accessoirement, en cibles potentielles pour terroristes en goguette parisienne. Rappelons, quand même, que le métier du militaire est de faire la guerre à un ennemi : manœuvrer et utiliser ses armes de destruction (en clair, conçues pour tuer, histoire de donner des termes cliniques compréhensibles au bon docteur Buzyn). "Le feu tue !", comme disait Pétain. Il est vrai qu'à l'ENA, on apprend que Pétain était un salaud, pas que le feu tue... Le général Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, avait réussi à convaincre, à l’époque, qu’il fallait sortir de cette logique statique et que l’armée, notamment l’armée de terre, trouvait sa pleine efficacité dans sa capacité à être mobile. Donc, retour en arrière.

Ouest-France cite les propos d’une "source gouvernementale" qui laissent pantois : "On va faire en sorte qu’il n’y ait pas contact. Et si ça arrive, les militaires savent comment réagir. Ils sécurisent le périmètre et appellent les flics, ils s’en remettent aux autorités compétentes. Ce sont des choses qui arrivent tous les jours, pas seulement en cas de manifestation des gilets jaunes." En gros, on verra bien. Comme on dit vulgairement, ça fout la trouille ! Et l’on comprend mieux comment nous en sommes arrivés là si tout est ainsi à l’avenant dans les décisions gouvernementales.

Maintenant, imaginons un petit cas concret. Prenez - cas d’école - un groupe de cinq militaires aux ordres d’un jeune sergent, en faction devant un ministère. Tiens, celui de Benjamin Griveaux, par exemple. Surgit une bande de Black Blocs appuyés par un chariot élévateur (cas d’école, n’est-ce pas !). Le chariot élévateur fonce sur la porte cochère du ministère. Que veut dire concrètement "sécuriser le périmètre", pour reprendre l’expression de la "source gouvernementale" ? Il peut nous expliquer, le jeune conseiller au beau costume bleu, éventuellement nous faire un schéma ? Le chariot fonce sur le porche, menaçant la vie des soldats, le sergent ordonne de tirer. Je vous laisse imaginer la suite… Autre hypothèse, le sergent décide de ne pas faire ouvrir le feu (personne ne peut se mettre à sa place dans ce moment où tout va très vite). Les "autorités compétentes", toujours selon les mots de la "source gouvernementale" (des mots qui sonnent curieusement dans le contexte actuel…), arrivent évidemment trop tard. Les militaires sont submergés par les émeutiers qui, au passage, s’emparent des armes. C’est l’armée qui est humiliée. Et par la faute du gouvernement qui ne l'a pas employée à faire son métier.

Mais au-delà de ce cas concret que d’aucuns trouveront improbable (il était aussi improbable, jusque alors, qu’un ministère soit attaqué avec un chariot élévateur…), la décision du gouvernement en termes de communication est déplorable. Car, que risquent de retenir les Français ? Au pire, que ce gouvernement est prêt à faire tirer l’armée sur les plus extrêmes des gilets jaunes. Au mieux (si l’on peut dire), que l’armée de la nation est devenue une force supplétive de forces de police incapables de mater quelques centaines d’émeutiers. C'est un bien mauvais signal que le gouvernement vient de lancer à son armée, sa police et aux Français.

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21 mars 2019 à 15:57

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