Zemmour, le George Wallace français ?

wallace

Alors qu’une candidature d’Éric Zemmour au scrutin présidentiel apparaît désormais probable, il semble utile d’étudier cette ambition électorale dans le cadre d’une mise en perspective historique avec une personnalité qui a marqué les années 1960 par sa volonté de renverser le jeu politique américain : George C. Wallace.

En 1967, ce gouverneur de l’Alabama se trouve en rupture de ban avec un Parti démocrate dont il ne partage pas le tournant libéral en faveur des droits civiques. Wallace se décide donc à fonder sa propre structure, le Parti indépendant, et se lance dans la course présidentielle de 1968, face aux candidats républicain et démocrate que sont respectivement Nixon et Humphrey.

Le contexte est alors particulièrement favorable à une candidature de Wallace. Les États-Unis se trouvent en proie à la guerre du Vietnam, à la révolution culturelle des campus, aux tensions raciales et à une hausse de la délinquance, le tout sur fond de ralentissement économique et de hausse de l’inflation. Face aux partis traditionnels engoncés dans la logique centriste qui domine la politique américaine depuis le début des années 1950, Wallace dispose d’une fenêtre d’opportunité et entend dépasser le clivage bipartisan.

Il entame sa campagne présidentielle en février 1968 et adopte une rhétorique radicale. Son adversaire principal tout désigné, ce sont les élites : politiciens démocrates et républicains à l’idéologie indissociable ; universitaires entendant révolutionner les mœurs ; bureaucrates qui veulent régenter l’existence quotidienne ; juges fédéraux outrepassant leurs fonctions pour, selon les propres mots du candidat, « bannir et déclarer inconstitutionnelles, illégales et immorales les coutumes, traditions, et valeurs du peuple ».

Face à ces entités, Wallace en appelle à la classe moyenne blanche, qui redoute le déclassement induit par les politiques de discrimination positive. Ainsi, tout en critiquant le mauvais usage de l’impôt, les largesses de l’État-providence et le renforcement de l’administration fédérale, Wallace présente un programme social ambitieux pour favoriser la formation professionnelle, moderniser les transports et renforcer la Sécurité sociale.

À cela s’ajoutent les craintes d’une frange de la population face aux changements culturels sortis des universités, à la mixité ethnique prônée, aux émeutes raciales et à la montée de la délinquance. Ces bouleversements quotidiens, Wallace entend y faire barrage. Il s’affirme comme le candidat de la loi et de l’ordre, avec un slogan : « Nous en avons assez de ce foutoir. »

Ces thématiques, alliées à l’humour rageur d’un Wallace brocardant ses adversaires libéraux en lunatiques ineptes, lui assurent un succès grandissant. À partir de l’été 1968, il parcourt l’ensemble du pays afin de séduire au-delà de son Sud natal. Les gains de sa campagne offensive ne tardent pas à apparaître. Crédité de 9 % des suffrages, en avril 1968, il atteint 21 %, début octobre. Le portrait type de son électeur potentiel : un homme blanc urbain, souvent jeune, issu du monde ouvrier ou du petit commerce.

Pourtant, au soir du 5 novembre 1968, Wallace ne recueille que 13,5 % des suffrages. Le mois d’octobre a été marqué par une décrue rapide dans les sondages. Nixon et Humphrey sont parvenus à démontrer les faibles chances de victoire de Wallace, tout en empiétant tardivement sur ses thématiques sécuritaires et sociales. De plus, l’attitude maximaliste de Wallace lui a certes assuré le soutien de son noyau électoral, mais elle a fini par l’éloigner des votants hésitants. Le vote de contestation n’a pu se faire vote d’adhésion.

On ne manquera pas de trouver dans le bref portrait dressé ici de nombreux points communs avec les thématiques et l’attitude d’Éric Zemmour, le rapprochement s’observant également au niveau sociologique, ce que confirment les résultats du sondage Harris Interactive conduit en juillet dernier. L’exemple de Wallace illustre ainsi la potentialité et les limites d’une candidature d’Éric Zemmour, qui peut espérer coaliser un large front mêlant conservateurs et apartisans, tout en espérant réorienter le cours de la campagne en instaurant des thématiques nouvelles. Mais il court le risque d’apparaître comme un candidat impropre à la victoire, trop clivant pour emporter l’adhésion de la majorité, condamné comme Wallace à influer sans régner.

Florent Valet
Florent Valet
Diplômé de master d’histoire

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