Zemmour/CSA : une décision illégale ?
La décision du CSA de décompter le temps de parole d’Éric Zemmour sous prétexte que « M. Zemmour pouvait être regardé dorénavant tant pas ses prises de position et ses actions [...] comme acteur du débat politique national » a fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup ont crié à la censure politique. De fait, aujourd’hui, Éric Zemmour n’a plus de chronique ni au Figaro ni sur CNews. Pour l’émission « Zemmour et Naulleau », la chaîne Paris Première serait en train de réfléchir, mais le « précédent » CNews n’augure rien de bon pour le journaliste.
Ce que l’on dit moins, c’est que la décision du CSA est illégale. Mais qui, pour le dire ?
Deux anciens du CSA, et non des moindres.
Invitée de Pascal Praud, Françoise Laborde, que l’on ne peut soupçonner d’aucune complaisance, s’est, avec une belle vigueur, insurgée contre cette décision : « Ça n’existe pas, être potentiellement candidat, on l’est ou on ne l’est pas, c’est la règle, c’est le droit et, en France, on se doit de respecter le droit. Ce qui me choque, c’est que subitement le CSA, dans son immense créativité, invente un concept, crée du droit là où ça n’existe pas. » Il y aurait forcément, dans notre beau pays chantre de « l’État de droit », un recours possible ? « L’instance suprême qui pourrait corriger le CSA, c’est le Conseil d’État, sauf que, si je puis dire, c’est la même famille, c’est les mêmes, les conseillers d’État vont au CSA, les CSA vont au Conseil d’État, on est dans une espèce d’ambiguïté totale. »
Grégoire Weigel était, quant à lui, l'invité d’Éric Brunet, sur LCI. Docteur en droit public, il a rédigé une thèse sur « la dimension constitutionnelle de la liberté de la communication audiovisuelle ». Avocat au barreau de Paris, il fut, au CSA, responsable du pluralisme et du temps de parole. Sa démonstration est claire et implacable :
« Aujourd’hui, on est hors période électorale, et dans ce cas, le CSA le dit lui-même, on ne compte pas le temps de parole des personnalités. Par ailleurs, on ne compte les personnalités que si elles appartiennent à un parti politique. » Or, poursuit-il, « Éric Zemmour n’est pas à lui seul un parti politique. Il y a un problème de légalité dans cette décision. »
Il s’étonne que le CSA n’ait pas pris une autre décision « sûre et certaine » dont il existe un précédent : reconnaître « au vu d’indices objectifs » la présomption de candidature d’Éric Zemmour, comme cela avait été fait pour Nicolas Sarkozy en 2006, avant qu’il ne se déclare officiellement.
Pourquoi cette jurisprudence n’a-t-elle pas été reprise ? Tout simplement parce que si le CSA décomptait le « candidat présumé », « il aurait fallu que le CSA décompte tous les candidats présumés de la même façon, dont Emmanuel Macron. Je m’inquiète de la notion même de pluralisme : le pluralisme n’est pas un mot en l’air, cela signifie le pluralisme des idées et des opinions. »
Zemmour a donc été l’objet de cette décision parce qu’il est « un acteur du débat politique national ».
Et, pour finir, le double effet Kiss Cool de cette décision éminemment politique, relevé également par Christine Kelly sur un autre plateau : le règlement du CSA stipule que, hors période électorale, le temps de parole est réparti entre un tiers pour l’exécutif, c’est-à-dire pour le président de la République, ses ministres et collaborateurs, et deux tiers pour tous les autres, la majorité parlementaire, l’opposition parlementaire et les non-alignés (ceux qui ne rentrent dans aucune de ces cases). Si les chaînes décident de décompter le temps de parole de Zemmour, « mécaniquement, vous donnez du temps à l’exécutif. Le pluralisme y perd - pour l’instant, Éric Zemmour vend des livres - et l’opposition parlementaire y perd car il prend la place des élus, des députés et des sénateurs », relève Grégoire Weigel.
Depuis presque deux ans, le pouvoir en place a « suspendu » le droit à de multiples reprises, le reléguant au rang des biens non essentiels. En même temps, il n’a jamais autant revendiqué « l’État de droit ».
Cette décision illégale du CSA, éminemment politique, en est un triste et parfait exemple. Les démocraties illibérales ne sont décidément pas celles que l’on croit.
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