[VU D’ARGENTINE] Des affaires de corruption au plus haut niveau de l’État (1)

Être interdit de séjour pour corruption, aux États-Unis, n’est une bonne nouvelle pour personne. Encore moins pour Cristina Kirchner, qui a gouverné l’Argentine directement ou indirectement pendant douze ans. C’est pourtant ce qui s’est produit, le 21 mars dernier. Mais, à quelque chose malheur est bon, cela évitera que se renouvelle le spectacle ridicule et affligeant de la conférence de géopolitique qu’elle avait infligée, en 2012, aux étudiants de Harvard. Le point d’orgue ayant été le moment où, face à la question d’un étudiant au sujet de l’origine de sa considérable fortune, elle avait expliqué, sans convaincre, qu’elle était « un avocat à succès ».
Il est de notoriété publique que, depuis sa création en 1946, le péronisme a entretenu avec la corruption un flirt, dirions-nous, avancé. Sans forcer, nous pourrions dire qu’elle lui est connaturelle. Pour ne pas sortir des limites de l’épure, nous nous limiterons à la période post-2003 sans aller, cependant, jusqu’à octroyer une quelconque absolution à ce qui fut, depuis Perón, une débauche quasi pornographique dans la gestion des biens de l’État.
Un "beau mariage"
Avant d’entrer dans le sujet, nous relèverons une plaisante coïncidence. Cristina Kirchner et Javier Milei sont tous deux enfants de chauffeurs de bus. Cette origine est, certes, tout à fait honorable mais ne garantit en général pas un avenir spécialement fortuné. Que le lecteur se rassure, la ressemblance s’arrête là. L’un est l’heureux possesseur de quatre chiens sans autres biens d’importance. L’autre a fait un « beau mariage » avec un avocat de la province de Santa Cruz située dans le sud du pays, dont le grand-père avait amassé quelques biens comme usurier et tenancier de maisons closes dans la petite ville capitale de Río Gallegos située à l’embouchure du détroit de Magellan. Sur ces bases, les tourtereaux s’y établissent et se lancent à fond dans une activité très rentable, à savoir l’exécution des innombrables hypothèques en défaut comme conséquence de l’inflation qui avait laissé les petits propriétaires locaux dans le désarroi. Les immeubles étant ensuite rachetés à bas prix. Voilà qui diverge profondément de la version officielle relatant l’affrontement héroïque du couple avec le régime militaire dans les années 70.
Rapidement, Nestor Kirchner1 devient maire de la ville puis est élu gouverneur de la province par trois fois, jusqu’à son élection à la présidence argentine en 2003. Prestigieux parcours soutenu par un dogme de fer énoncé cyniquement maintes et maintes fois. « Pour faire de la politique, il faut de l’argent. » Style très différent de la doxa de Milei : « Pour gouverner un pays il faut un excédent fiscal. » Nestor Kirchner avait bien appris la leçon de son vieux maître Juan Perón. Son épouse était ainsi devenue un « avocat à succès ».
En quittant Río Gallegos, Nestor Kirchner avais pris la décision d’exporter 630 millions de dollars2, actif de sa province correspondant à des redevances pétrolières. À ce jour personne, n'a jamais connu la destination de cette jolie somme… Arrivé au sommet de l’État, le frétillant président se montre très actif pour promouvoir de grands travaux d’infrastructure lourde avec, dans la grande majorité des cas, de colossaux pots de vin. Un des premiers cas, en 2005, est celui de l’entreprise suédoise Skanska, pour la très modeste somme de 11 millions de dollars3. Bien que les faits aient été reconnus par les dirigeants de l’entreprise, vingt ans après, le procès est toujours en cours. Cela n’est qu’un tout petit début et, pour faire plus vite, on a ensuite recours à un modeste mais dévoué caissier de la banque de Santa Cruz, Lazaro Baez, qui contrôlera rapidement 80 % de la construction des routes de la province, parfois commencées, jamais terminées4.
Six ans de prison ferme
Là, nous parlons de choses sérieuses. En 2015, le trou est d'un milliard de dollars. Le procès pénal se termine en 2022 avec une condamnation, pour Mme Kirchner, à six ans de prison ferme et inéligibilité perpétuelle. Le verdict est confirmé en appel. La Cour suprême a actuellement l’affaire en main. Pour combien de temps ? Parallèlement, un procès civil pour 1.200 millions de dollars est en cours. Quant à Lazaro Baez, il a été bien récompensé. Il possédait, en 2015, entre autres importants immeubles, pas moins de 25 estancias5 qui, suivant le procureur, s’étendaient sur 427.000 hectares (hectares de la Patagonie aride, certes, mais jolie ascension pour le modeste caissier d’une petite banque).
En octobre 2010, coup de théâtre : Nestor Kirchner rend l’âme, officiellement d’une crise cardiaque. Curieusement, il n’y aura aucune photo du corps. La veuve éplorée prendra le deuil en noir le plus strict pour trois ans. Elle sera réélue triomphalement en 2011. Nous verrons, dans un prochain article, que sa cupidité vaincra aisément son désespoir.
À suivre...
1) Les activités du grand-père de Nestor Kirchner : raconté plusieurs fois à différents journaux argentins par Oswaldo Bayer (1927 2018), historien argentin d’origine allemande. Il étudie l’histoire à Hambourg. Personnage de gauche, très investi dans la défense des peuples originels et des travailleurs. Exilé pendant la dictature militaire des années 70. Collaborateur du journal Clarin (centre gauche) et Página12 (gauche), il a fondé le « département des droits humains » dans la faculté de philosophie et lettres de l’université de Buenos Aires. Son œuvre principale, Los vengadores de la Patagonia trágica, a été adaptée en 1974 dans un film : La Patagonia rebelde.
2) Les 630 millions envoyés à l’extérieur du pays : abondamment commenté pendant des années par tous les journaux argentins sérieux. En particulier par La Nación dans un article, daté du 6 juillet 2022, écrit par Mariela Arias. Cette journaliste parle de près de 1.100 millions de dollars, dont il reste 9.295,23 dollars (information extraite des comptes du ministère de la province de Santa Cruz).
3) Skanska. Le journal La Nación, dans un article du 15 avril 2024 écrit par le journaliste Enrique García Medina, informe que le tribunal oral fédéral numéro 4 relance le procès.
4) La condamnation en première et deuxième instance de Cristina Kirchner et aussi Lazaro Baez fait partie du domaine public.
5) Pratiquement du domaine public, publiés dans tous les journaux. La liste des biens diffère mais le montant est monstrueux. Avec les 25 estancias, il est probable que nous ne parlions que de la partie émergée de l’iceberg. La UIF (Unidad de Información Financiera) informe deux milliards de dollars. La Justice de 440 immeubles et 972 véhicules, etc.

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11 commentaires
Superbe article ! j’apprécie !
Hélas une enquête de ce type serait impossible ici, trop d’inculpes et pas assez de juges.
Soyez rassurés braves gens celà ne peut exister qu’en Argentine!
Voilà un article fort bien documenté et accablant …qui explique bien le succès électoral de Milei !. Merci pour ces précisions. On aimerait qu’un jour und telle enquête aboutisse en France contre messieurs Cahuzac et Hollande …entre autres ripoux notoires .
La liste des tripoux est bien plus longue , hélas, de plus elle s’est rallongée depuis 2017 …
Chez nous évidemment ça n’arrive pas, je connais même une personne qui travaillait dans une grande banque d’affaires, qui était brillante, qui a fait de nombreuses transactions généralement bien rémunérées et pourtant cette personne n’a qu’un tout petit capital et encore qui est parti dans des travaux pour les réparations de sa maison en bord de mer.
Ha bon , je ne vois vraiment pas de qui vous parlez … ;-))
Vous êtes convaincant et bien renseigné. L’argent, en Argentine, courait salement d’une poche à l’autre et pouvait conduire à des homicides. En France, motus et bouche cousue, impossible de savoir comment la cagnotte d’un prétendant heureux à la présidentielle à été constituée ni ce qu’il est advenu d’un coffre-fort disparu miraculeusement dans la nature. L’Argentine est exubérante, la France, plus pudique. Elle se coupe la langue en manniant la tronconneuse en silence.
Bergoglio n’était pas dupe de la crapulerie; ses rapports avec Madame Kirchner étaient exécrables. Et Madame Kirchner était la seule à s’être énormément enrichie cependant que l’Argentine s’effondrait. Quelle avocate!
Certains régimes politiques d’Amérique du Sud réussissent particulièrement bien aux femmes: on se rappellera que la fille d’ Hugo Chavez fut longtemps la femme la plus riche du Venezuela. Et uniquement, bien sûr, grâce à ses capacités personnelles.
La gauche latino est terriblement émancipatrice.
J’en suis venu à penser, au fil du temps, que le degré de corruption se mesure au niveau affiché de bienpensance du corrompu. Plus ils nous servent la moraline (bonne conscience) et plus ils se montrent bienpensants ; plus leur niveau de corruption est élevé. Le camps du Bien est ainsi devenu. Il se pare de toutes les vertus pour mieux magouiller en toute bienveillance et à la moindre mise en cause, il vous montre les dictateurs Poutine et Xi Jinping (Catherine Nay ce matin sur Europe 1 sans complexe…). Alors que faire ? Rien car ils ont tous les pouvoirs et la majorité des français les suit. Alors s’exiler ou attendre le chaos et voir ce qu’il en ressortira… Sans grand espoir, car ceux-là qui nous ont conduit à la ruine nous expliquerons que c’est la faute au russes…Et ça passera crème.