Une photo publiée sur les réseaux sociaux, ce 12 juillet, a fait beaucoup jaser. On y voit des groupes de jeunes à l’intérieur d’un musée, confortablement installés sur les canapés de la pièce, les yeux rivés sur leur téléphone. Au deuxième plan, on aperçoit des tableaux, exposés on ne sait plus très bien pour quoi. Pour les trois récalcitrants qui n’ont pas trouvé de place sur les canapés, sans doute, et qui se voient contraints d’admirer ces pièces d’art ?


La photo, convenons-en, est tristement symptomatique. Elle renvoie à cette dépendance toujours plus importante des jeunes générations à leur téléphone, et qui se montrent incapables de s’en détacher pour se poser plus d’une minute trente sur les décors fastueux qui les entourent. Selon une étude britannique parue le 2 mars 2021 dans le Guardian, 42,2 % des étudiants de moins des 21 ans se considèrent accros à leur téléphone. Le chiffre baisse à mesure que l’âge augmente, ce qui est un peu rassurant : ainsi, 34,2 % des 22-25 ans sont-ils considérés accros, et 28 % des plus de 26 ans. Des chiffres tout de même proprement exorbitants et qui ne présagent rien de bon pour la santé mentale et culturelle des générations à venir.

Celles-ci, en effet, ne discernent plus l’intérêt qu’elles auraient à s’intéresser à leur propre culture, et la vue de ces tableaux désespérément classiques, désespérément figés, ne leur parle plus vraiment. Elle est loin, la notion d’appartenance à une nation unique par sa culture et par son Histoire, loin, la fierté de se savoir descendants de ces immenses artistes, loin aussi, la prise de conscience de ce que représente cet immense patrimoine, point de départ d’un rayonnement culturel français exceptionnel à travers le monde.

Outre ce désintérêt flagrant pour tout objet pâtissant de plus de six mois d’ancienneté, outre cette incapacité à s’intéresser gratuitement à quelque chose qui n’apporte rien sur le plan matériel, ces jeunes générations font une fois de plus les frais de ces changements radicaux provoqués par le Covid.

En témoigne cette relation nouvelle aux loisirs constructifs, qui se raréfient de manière exceptionnelle et dont les modalités ont été profondément modifiées. Le magazine Géo (5/3/2021) rappelle, dans cette optique, que 90 % des musées ont dû fermer en 2019 du fait de la pandémie de Covid 19. Une capacité d’adaptation qui a porté ses fruits, comme le démontre l’audience exceptionnelle dont a bénéficié le musée du Louvre durant le premier confinement : dix millions de visiteurs numériques en 71 jours, soit les trois quarts du nombre de visiteurs réels durant 2019. Cette adaptation dont ont fait preuve les musées, si elle a permis de poursuivre la découverte culturelle pour un certain nombre de Français, a laissé chez ces derniers de sérieuses séquelles, les habituant à recevoir tableaux, sculptures et châteaux au sein même de leur domicile. Quel intérêt y aurait-il, dès lors, à entreprendre des déplacements chronophages, à se procurer des billets coûteux, à devoir se frayer un chemin au milieu des visiteurs venus en nombre admirer les mêmes œuvres. La mode est à la visite virtuelle « depuis son canapé », ce qui constitue pour certains le nec plus ultra d’une journée réussie. Pas le moindre effort fourni, et la satisfaction tout à fait sympathique de ne pas avoir pour autant perdu son temps.

Dans une tribune publiée dans La Croix (28/2/2022), Hervé Barbaret, directeur de l’Agence France-Muséums, rappelle les avantages non négligeables de la visite réelle face au virtuel : « À l’émotion esthétique que l’œuvre originale fait ressentir, il faut l’écrin qui émerveille. L’accrochage des œuvres, l’architecture qui les accueille, les moyens de médiation, le parcours de visite… constituent un système. » Autant d’aspects que les écoliers d’aujourd’hui ne savent plus apprécier, happés par la facilité technologique autant que par leur profonde inculture. Les musées le savent, ils devront se réinventer s’ils veulent continuer à exister. C’est désormais au patrimoine millénaire de s’adapter aux générations décérébrées, sous peine de tomber définitivement dans l’oubli.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 18/07/2022 à 9:12.

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