Un Big Brother éthique
Pour certains commentateurs cyniques et désabusés, le Défenseur des droits est un des placards dorés de la République. Il sert à recaser quelques personnes afin de donner l’illusion qu’existeraient, en France, des contre-pouvoirs. C’est risible la plupart du temps, ici comme pour la CNIL, le CSA ou le CESE, et même pour le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Très souvent, ils ratifient servilement, ou avec si peu de réserves, les desiderata du pouvoir en place. Mais il arrive, parfois, qu’un avis émis par ces officines soit pertinent et courageux. Là, Claire Hédon, titulaire actuelle du fromage républicain, en a publié deux coup sur coup !
Dans le monde numérique, la biométrie est la méthode la plus fiable pour identifier une personne. Il n’est pas nécessaire de produire ce que l’on a (un objet-clef), ni de restituer ce que l’on sait (un mot de passe), mais simplement de faire appel à une caractéristique physique réputée unique et infalsifiable, comme une empreinte digitale. Cela permet, dans une certaine mesure, de sécuriser des transactions effectuées via un ordinateur.
En 2019, dans sa répression des rétifs à la « normalisation » à la chinoise, la police de Hong Kong avait interdit le port des masques aux manifestants afin de pouvoir user de la reconnaissance faciale pour les identifier. Des tactiques de défense visant à empêcher l’identification grâce à des données captées lors de l’événement ont été développée, comme « aveugler » au pointeur laser les caméras de la police, porter de lunettes de protection, emballer sa carte de paiement ou celle de son abonnement de transport dans de l’aluminium, retirer la carte SIM de son téléphone portable. Nous nous sentons sans doute plus proches des manifestants que du pouvoir chinois, mais accepterions-nous que ces techniques permettent d’identifier des Black Blocs chez nous ?
Cécile Hédon tire le signal d’alarme : ces technologies ne sont pas assez fiables pour l’usage que l’on voudrait en faire. Aux États-Unis, trois Noirs ont été injustement emprisonnés à cause d’un faux positif après l’exploitation de captations vidéo (aparté anti-woke : combien de Blancs et d’Asiatiques ? Serait-ce moins grave pour eux ?).
Analyser les émotions ou le langage corporel en utilisant un logiciel ad hoc lors d’un entretien d’embauche ou d’évaluation, par exemple, est-ce amoral et cela doit-il être rendu illicite ? La future caméra piéton du policier doit-elle se borner à documenter qu’il respecte la procédure ou peut-elle aussi servir à identifier le vendeur de drogue qu’il appréhende ou le touriste qui lui demande le chemin vers la Sainte-Chapelle ? Et que penser du droit de manifester de façon anonyme si les caméras de vidéosurveillance vous identifient et viennent incrémenter votre dossier de dangereux dissident à la DGSI ? Et puis, à terme, l’objectif n’est-il pas une notation sociale de l’individu à la chinoise qui déterminerait qui mérite une carotte et qui du bâton ?
Bien sûr, discriminer parmi les très nombreux centenaires qui perçoivent des retraites au sud de la Méditerranée ceux qui seraient légèrement ou totalement décédés de ceux qui sont encore vifs via des moyens biométriques serait peut-être une option salutaire pour réduire l’ardoise de la fraude.
Ces questions sont complexes et il faut remercier Claire Hédon d’avoir jeté la lumière sur les possibles dérives liberticides de ces technologies. Mais nous sommes en France, où la République franc-maçonne n’a pas craint, jadis, de ficher les officiers qui allaient à la messe. L’esprit soupçonneux posera la question : Claire Hédon ne pose-t-elle pas un simple vernis éthique sur un Big Brother authentique ?
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