[Tribune] Réponse à Pap N’Diaye : comment lutter efficacement contre la ségrégation sociale à l’école ?

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Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, vient de réaffirmer (Le Monde, 22 décembre) que parmi ses priorités, il plaçait la lutte contre la ségrégation sociale et voulait favoriser une plus grande mixité scolaire.

Nivellement par le bas et polarisation sociale

Le constat est dramatiquement simple et désormais largement partagé : le nivellement par le bas de la grande majorité des écoles publiques fait fuir vers le privé les familles qui peuvent assumer les scolarités demandées. Ce phénomène a connu une accélération importante avec l’augmentation de ce qu’il est convenu d’appeler des « incivilités » au sein des établissements scolaires. Nous pourrions ajouter que ce mouvement ne s’arrête pas là, puisque de plus en plus de familles quittent le système, public ou privé sous contrat avec l’État, pour rejoindre – voire fonder – les écoles indépendantes dites hors contrat, qui poussent comme des champignons en France. Plus de 120 écoles ont été créées cette année et 2.500 établissements, en comptant l’enseignement professionnel. Le phénomène augmente de façon exponentielle, puisque 100.000 élèves environ étaient scolarisés dans ces écoles en 2022, contre 50.000 il y a dix ans. Alors oui, le ministre a raison de s’inquiéter de la polarisation sociale avec un système scolaire qui partage les familles françaises en deux mondes : celles qui ont les moyens culturels ou financiers de trouver une alternative au système général de l’Éducation nationale et celles qui n’en ont pas les moyens.

Que propose le ministre pour mieux répartir les élèves des catégories sociales dites « défavorisées » ?

L'Éducation nationale va désormais rendre public l'indice de positionnement social (IPS) pour tous les élèves de collège et de CM2. Celui-ci permet de déterminer le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents. Et l’on peut ici faire une observation de principe : comment accepter sans sourciller que cet indice considère qu’un agriculteur, par exemple, soit moins bien noté qu’un ingénieur ? L’IPS, comme tous les indices de l’administration étatique, a dû être mitonné par des professionnels de l’algorithme mathématique. Son modèle comporte des ingrédients quantitatifs mais aussi qualitatifs et c’est sur ce point que l’on aimerait obtenir le mode de calcul précis, une définition exhaustive du contenu et les limites, sans quoi cet indice risque de nourrir les supputations les plus folles. Il n’était pas diffusé jusqu’ici afin de ne pas encourager le contournement de la carte scolaire, déjà largement pratiqué. Cette fameuse carte qui assigne en théorie aux familles l’école de leurs enfants en fonction de leur domicile. Le ministère préfère aujourd’hui prendre ce risque pour justifier la mise en place de mesures fortes. Mais lesquelles ?

Des expérimentations ont eu lieu à Paris depuis 2017. La méthode consistait à mixer autoritairement les populations par binôme de collèges publics. Les résultats sont qualifiés « d’encourageants » et le ministre a même affirmé qu’ils étaient « bons » et que ce type de brassage devait être favorisé.

Mais le rapport ne dit rien ou presque de certains effets secondaires, notamment des conséquences sur le niveau général de classes hétérogènes : si le niveau des élèves moins favorisés a progressé en valeur relative, quid de celui des élèves issus des collèges de meilleur niveau ?

Rien n’est dit, non plus, dans ce rapport sur les questions de discipline, alors que ce sujet est central pour les conditions d’apprentissage, la transmission des savoirs et le développement de la vie sociale des élèves. Quand un professeur vous dit qu’il fait quinze minutes de cours maximum par heure de présence dans la classe, cela explique certaines choses... Par ailleurs, de nombreux parents cherchent l’établissement qui permettra à leurs enfants de sortir du déterminisme des quartiers et de trouver des relations amicales choisies.

La fuite vers le privé de familles refusant de vivre cette expérience est également peu documentée et rien n’est dit sur le comportement des parents des écoles élémentaires alentour, alors qu’il serait possible de mesurer si le nombre de départs vers le privé augmente ou non à la sortie du CM2.

Par ailleurs, le collège privé est dans le collimateur du ministère car il n’accueille que 13 % d’élèves de « milieux défavorisés », contre 39 % de « très favorisés ». Le ministre estime qu’il doit « prendre sa part ». Les responsables de l’enseignement privé sous contrat entendent cette petite musique depuis près de dix ans, mais il semble que le ministre de l’Éducation nationale soit désormais déterminé à contraindre en en faisant un critère dans l’attribution des moyens. Pour mémoire, la majorité des organisations académiques de l’enseignement privé sont entrées dans la procédure AFFELNET pour l’affectation de leurs élèves de 3e vers un lycée public. Les propos du ministre Ndiaye laissent penser qu’il faudra que les établissements privés s’assimilent un peu plus dans la machine de la rue de Grenelle en partageant des informations plus détaillées sur les élèves accueillis pour que les moyens attribués aux établissements sous contrat soient indexés sur les critères de l’IPS.

Sans nous étendre sur les causes profondes de cette situation, il est impossible de passer sous silence ce que Laurence de Charette dénonçait (Le Figaro, 1er décembre), soit cette « incapacité croissante de "l’école de la république" fracturée par la défaite de l’intégration à donner à chacun, quel que soit son milieu d’origine, un socle fondamental pour conduire chaque élève vers le meilleur des apprentissages à sa mesure ».

La question du collège unique

Il faudra bien, un jour, faire un bilan honnête des problèmes énormes soulevés par la mise en place du collège unique. On ne compte plus le nombre d’élèves pour lesquels des parents ou des professeurs recherchent des solutions alternatives au collège unique mais qui sont contraints d’attendre l’âge légal.
Mais est-il pour autant impossible de traiter la question hic et nunc ?
Pour essayer d’avancer, il peut être intéressant de revenir à la vocation originelle de l’école : quelles sont les conditions pour qu’un collège – une école – réalise ce pour quoi il est fait ?

Une école est un lieu où des professeurs enseignent à des enfants par un acte de transmission, confiés à l’institution par leurs parents, sous la conduite d’un directeur qui veille à la réalisation de ce bien commun.

Laissons de côté les aspects matériels et l’équipement, qui sont essentiels, mais l’école publique délègue ce genre de soucis aux collectivités territoriales. Les parents demandent que leurs enfants apprennent à lire, écrire et compter correctement. Puis à rédiger, s’exprimer, se familiariser avec les abstractions et développer leur esprit critique, le tout dans un cadre préservé. Pour cela, il convient d’avoir des professeurs compétents et professionnels, capables de transmettre et de s’intéresser à leurs élèves. Les sondages montrent qu’un grand nombre de Français font confiance aux professeurs.

Enfin, et je voudrais insister sur ce point, il faut un chef d’établissement qui dirige. C’est-à-dire qui ait le pouvoir de décider ce qui est bon pour son collège, dans le respect de la mission de l’école, qui est de transmettre et de faire grandir tous les élèves, chaque élève et tout l’élève.

Principe de subsidiarité

Diriger, cela veut dire pouvoir embaucher les professeurs, le personnel éducatif et administratif. Mais aussi pouvoir s’en séparer. Ce qui revient à donner aux chefs d'établissement la responsabilité hiérarchique du personnel (administrative et pédagogique), responsabilité qu’il peut déléguer à ses adjoints.
Diriger, cela veut dire avoir une vision pour la communauté éducative, une ambition qui permet de fixer des objectifs. Cela veut dire pouvoir reconnaître les progrès accomplis et accompagner le personnel dans les difficultés.
Diriger au service des familles, cela veut dire créer un lien indispensable avec les parents, qui doivent rester les premiers éducateurs de leurs enfants.
Diriger, cela veut dire pouvoir renvoyer les élèves qui posent de graves problèmes de comportement. Et, pour cela, créer par zone un établissement spécialisé dont la mission serait de donner une seconde chance à ces élèves, dans un cadre strict et adapté.
Diriger, enfin, cela veut dire donner les moyens matériels, les dépenses étant contrôlées par l’instance ad hoc.

En résumé, ceci n’est que l’application d’un principe simple à énoncer, efficace en toutes circonstances, mais délicat à mettre en œuvre : le principe de subsidiarité. L’application de ce principe dans les écoles permettrait de connaître ce que nous voulons tous : un authentique renouveau éducatif au service des familles.

L’école, publique ou privée, n’a pas besoin de gestionnaires mais de chefs à qui l’on donne le pouvoir d’assumer la responsabilité des décisions sur le terrain ; des chefs qui annoncent les règles du jeu aux parents et les font respecter en soutenant leurs professeurs ; des chefs qui exigent des élèves une tenue et un comportement irréprochables tous les matins en les accueillant et durant tous les cours de la journée.
Si le mot « chef » fait peur, alors qu’il figure dans le titre « chef d’établissement », le terme de directeur est très bien aussi ! Au-delà des mots, à cette condition, l’école publique pourrait être capable de donner envie aux familles d’y inscrire leurs enfants.

À une échelle modeste, certes, mais significative, cette façon de faire existe déjà en France et fonctionne dans la plupart des écoles indépendantes, dites hors contrat. Ces écoles, dont les projets pédagogiques sont extrêmement variés, accueillent des enfants de toutes conditions. Elles sont libres de conserver des méthodes éprouvées, d’expérimenter des pédagogies innovantes ou d’allier les deux, libres de leur recrutement. Les écoles indépendantes répondent aux besoins des familles et des territoires.

C’est pourquoi il est regrettable que l’État, loin de proposer aux écoles indépendantes un cadre propice à leur développement, leur mette au contraire des bâtons dans les roues par des inspections à charge, par des inégalités de traitement aux examens d’État et par le refus, jusqu’à présent, d’étudier la possibilité d’un statut d’école conventionnée qui leur permettrait, justement, d’accueillir davantage d’enfants et offriraient aux parents la vraie liberté de choisir le type d’instruction qu’ils souhaitent donner à leur enfant. La politique actuelle des pouvoirs publics ne fait qu’encourager une autre forme de ségrégation sociale dont il faudrait s’occuper également. Pour terminer, faisons un vœu au seuil de la nouvelle année : que le bon sens et le pragmatisme l’emportent enfin sur l’idéologie !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 03/01/2023 à 17:38.
Michel Valadier
Michel Valadier
Directeur de la Fondation pour l’école.

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Le ministre de l’EN donne le bon exemple pour le mixité sociale dans l’école choisie pour ses enfants :
    IPS (indice de position sociale) Cet indice est calculé par rapport au diplôme des parents, conditions matérielles, capital et pratiques culturelles…est donc rapporté à la profession et catégorie sociale des parents (PCS).
    COLLEGE PRIVE ECOLE ALSACIENNE 75106 PARIS 6E privé sous contrat IPS 144,4
    148 collèges sur 6960 ont un IPS supérieur à 140 IPS minimum 53,8 en métropole
    ECOLE PRIMAIRE PRIVEE ALSACIENNE 75106 PARIS 6E privé sous contrat IPS 143,4
    392 écoles primaires sur 32090 ont un IPS supérieur à 140 IPS minimum 56,2 en métropole
    Les enfants de notre ministre sont donc bien dans l’élite des écoles d’élite !!!!

  2. Dans une entreprise « normale » quand un membre du personnel en donne pas satisfaction ,on le vire ! Et bien qu’est ce qu’on attend pour virer Pap N’Diaye . C’est a se demander si Macron ne fait pas exprès de nommer des brelles à des ministère . Quelle déliquescence notre éducation nationale !

  3. là encore, il faudrait que ceux qui devraient nous diriger aient du courage !! et donnent l’exemple (n’est-ce pas monsieur le ministre de l’éducation nationale !!)

  4. Mais que ne commence – t – il pas par ses propres rejetons !!! Quel hypocrite celui là encore !
    Une plus grande mixitée sociale qu’il a visiblement fuit pour préserver sa progéniture de tomber dans des niveaux au dessous de zéro pointé !
    Si cette mixité sociale favorisait de garder un niveau acceptable, depuis le temps çà se saurait !
    J’en ai ras le bol de ces inventeurs de recettes éculées qui ne fonctionnent pas – de ces blablateurs surdiplomés qui tentent de nous faire croire qu’ils sont des  » sachants » les autres étant évidemment des  » ne sachants rien » !!
    Tant que l’E N sera dirigée par ce genre de moulin à vent, rien n’arrêtera l’abîme du niveau scolaire actuel !
    Quand j’entend que lors d’un concours de recrutement de prof. ceux ci ne comprennent pas le mot  » chanceler » j’avoue que les bras m’en tombent !

  5. Il y a une quinzaine d’années, un dispositif de recherche très lourd et très sophistiqué avait été mis en place par l’Institut de recherche en économie de l’éducation et l’université de de Dijon. Ses conclusion sont très claires et je les résume : les élèves progressent le plus, entre le début et la fin d’une année scolaire 1) D’abord, dans les classes regroupant une majorité de (très) bons élèves; 2) Ensuite, dans une classe regroupant une majorité de (très) mauvais élèves; 3) ENFIN, et seulement, dans une classe mêlant (très) bons et (très) mauvais élèves. Cette conclusion 1) rejoint l’expérience de tous ceux qui enseignent ou ont un jour enseigné; 2) contredit formellement les affirmations aussi péremptoires qu’ incompétentes des idéologues, fussent-ils ministres, qui prônent la « mixité sociale » comme objectif majeurs de réduction des inégalités de résultats scolaires constatés à l’école.

  6. Espérons que la présidence tournante ayant donnée à la Suède, cela va nous aider à nous en sortir.
    Sinon, parents, sortez vos anciens livres d’école et compensez le soir, à la place d’un mauvais film à la TV. ou un jeu sur console ou sur téléphone portable!

  7. Belle illustration, avec une classe de six enfants (dont cinq filles). Est-ce à l’Ecole Alsacienne ? A remarquer qu’il n’y a a aucun Africain.

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