Imaginez un système juridique ou judiciaire au sein duquel la même personne déciderait de la poursuite, réaliserait l’enquête et jugerait les faits. En outre, le mis en cause n’aurait le droit ni à un avocat, ni de pouvoir faire appel. Que dire, de surcroît, si la sanction était connue à l’avance car exigée sous la pression d’une partie au procès.

Manifestement, une telle justice serait unanimement condamnée par tous les juristes et acteurs politiques. Et pour cause : aucune des conditions exigées par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ne serait respectée. Ce texte, rappelons-le, impose le droit à un procès équitable, ce qui s’entend de l’accès à un juge impartial et indépendant, de l’assistance d’un avocat et du droit à l’appel. Il s’agirait donc d’une justice d’un autre temps qui emprunte beaucoup aux canons des procès staliniens.

Pourtant, cette « justice » existe et n’est pas loin de chez nous. Elle existe même chez nous ! Les propos que les députés français peuvent tenir dans l’Hémicycle obéissent à ce diktat : l’Assemblée nationale s’autorise et applique à elle-même ce qu’elle fustige, dénonce et combat chez les autres. Au carrefour de mes fonctions de député et de mon métier d’avocat, cette « démocrature » m’interpelle.

À l’heure du retour de mon collègue Grégoire de Fournas – mis au ban et brocardé pour des propos détournés de leur contexte –, j’affirme que le parlementaire prétendu fautif est inexorablement broyé par ses juges-accusateurs.
Ainsi, les faits à peine dénoncés, la présidence de l’Assemblée juge elle-même sur le champ, saisit l’organe de jugement qu’elle préside et statue sous la pression – voire la vindicte – de plusieurs groupes parlementaires qui exigent par avance une sentence exemplaire. Le châtiment est prononcé par un « bureau » composé des mêmes personnes, le coupable d’opinion n’a ni avocat ni appel possible.

Enfin, entre autres sanctions, le député encourt la privation de son indemnité, ce qui est contraire à toutes les règles du droit du travail, tant privé que public, qui interdisent toute sanction financière. Ce point est plus choquant qu’il n’y paraît : cela induit que seul le député fortuné peut donner libre cours à sa colère. Le parlementaire modeste, lui, est muselé par l’autorité du jugement qui tient les cordons de la bourse. La police des mots est donc assurée par la terreur indemnitaire.

Un tel système – par l’absence de garanties d’équité – permettrait (pure fiction ?) à une présidence un brin autoritaire de suspendre, sans autre forme, 89 députés simultanément (au hasard !), transformant de facto une majorité relative en une majorité absolue.

Il apparaît donc nécessaire de créer une commission interparlementaire chargée de juger le délit d’opinion ou de langage du parlementaire. Cette juridiction verrait ses sentences soumises à un appel tranché, à très bref délai, par le Conseil constitutionnel. Et pourquoi ne pas imaginer que les sénateurs jugent les députés, et réciproquement ?

Les incidents et la récupération seraient ainsi délocalisés pour être arbitrés dans une atmosphère sereine et impartiale, et non dans un chaudron en ébullition.

Voilà, en vérité, une petite réforme qui devrait recevoir l’assentiment de tous sauf, peut-être, de ceux qui n’en ont pas d’intérêt immédiat. Il n’est jamais bon d’avoir raison trop tôt ; ainsi cette modeste contribution sera écartée d’un revers de manche par les mêmes qui, dans quelques années (selon la majorité parlementaire), la réclameront avec passion.

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07 décembre 2022 à 16:45

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24 commentaires

  1. Cela fait longtemps que l’on sait que le parlement est un théâtre de guignols. Macron se moque des députés et des sénateurs à longueur de temps, et les guignols ne comprennent rien. Quand demanderont-ils la destitution de Macron ?

  2. Ce systeme ,je l’ai connu dans les deux administrations régaliennes dans lesquelles j’ai travaillé .C’est la fameuse notation annuelle .

  3. Et ils traitent leRN de Fachiste Ce sont bien évidemment cette prétendue justice parlementaire qui est Fachiste.

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