SNCF : encore une explosion que nos énarques n’ont pas vu venir
On peut partager le coup de gueule de Marie Delarue contre la grève sauvage, « inopinée », des cheminots qui déboule sur les quais et les écrans depuis vendredi soir. Et entonner le langage de la « prise en otage » du client, en pointant le rôle de la CGT. En somme, parler comme Édouard Philippe.
Mais on peut aussi se demander comment on en est arrivé là. Ces événements inattendus, inopinés - le mot me plaît, vous l'avez compris -, ne tombent jamais du ciel. Ils sont l'aboutissement de plusieurs causes plus ou ou moins lointaines, plus ou moins relayées par les médias, surtout. Les agressions quotidiennes d'agents SNCF faisaient-elles les gros titres ? Ben non, il n'y en avait que pour la pseudo-agression de la mère voilée. La question de la sécurité des trains où n'est présent que le conducteur faisait-elle la une des parleries de Hanouna ou de Praud ? Les Français la découvrent à cette occasion, faute de reportage de fond. Les mois de grève de l'an passé et le sentiment d'humiliation de bien des cheminots avaient-ils intéressé des grands reporters au long cours? Non, on préférait nous gaver des « problèmes » de couples de lesbiennes en mal d'enfant. Pour la SNCF, la musique ambiante, jusqu'au sommet de l'État, se résumait à un axiome sarkozyste : « Avec Macron, plus personne ne se rend compte d'une grève à la SNCF. » Avec, en sous-axiome : « Circulez, il n'y a rien à voir. » Et tout le petit monde médiatico-macroniste le créditait de ce « succès ». Sauf que, samedi, ça ne circulait plus, mais plus du tout. Et nos petits énarques, au gouvernement comme à la direction de la SNCF, ne comprenaient plus rien, dépassés. Obligés de négocier sans préavis. Le vernis du nouveau monde avec lequel on repeignait les TGV volait en éclats.
Pourtant, il n'est pas besoin d'être cheminot pour savoir que tous ces signaux créaient un terrain explosif. Il suffisait d'écouter les conversations, de discuter avec les uns et les autres, d'observer. À la moindre alerte, au moindre pépin, c'était l'explosion. C'est ce qui s'est passé samedi.
Et si la CGT a son agenda et sa stratégie, on devrait plutôt s'interroger sur l'aveuglement d'en face : le gouvernement, la direction de la SNCF, tous ces énarques qui manquent à la fois de terrain, de mémoire et de la moindre psychologie de ce qu'est un corps social, avec sa mémoire et ses ressentiments.
Ce qui s'est passé à la SNCF est en tous points semblable à l'explosion du mouvement des gilets jaunes ou de la grève du bac. Des professions ou des groupes humiliés, qui accumulent les rancœurs et qui, patients et dociles, donnent le change longtemps au point que nos énarques aveugles pensent maîtriser la situation. Et puis vient l'étincelle, la mesure de trop. Le mépris de trop. Ou l'agression de trop. Parfois les trois en même temps, d'ailleurs.
Faut-il redire que des groupes et des professions confrontés à de petits énarques qui ne connaissent pas vraiment leur situation, comme notre Président, et ces énarques qui ont si mal géré cette explosion SNCF, il y en a beaucoup ? Et que la France risque de connaître d'autres révoltes de ce type. Pardon : des événements « inopinés ». Et justifiés.
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