Michel Thooris revient sur l'attaque au mortier de policiers dans leur véhicule, à Bonneuil-sur-Marne (94), et dénonce la faiblesse des réponses pénales dans ce type d'événement. Il réclame la réforme de la légitime défense pour les policiers.

 

 

Des policiers ont récemment été blessés alors qu’ils intervenaient sur un rodéo urbain dans le Val-de-Marne. Comment se passent les interventions ?

Ce sont des interventions à haut risque. Si les collègues interviennent de manière trop musclée et qu’il y a un blessé chez les individus, on va immédiatement accuser la police de racisme et de violences policières. A contrario, si les collègues ne prennent pas suffisamment de précautions, on se retrouve avec des collègues attaqués avec une volonté de tuer. À Bonneuil-sur-Marne, on a essayé d’immoler mes collègues dans leur véhicule avec, ensuite, une réponse de la Justice qui n’est pas à la hauteur, puisque cinq mineurs impliqués ont déjà été relâchés, faute de preuves, et l’auteur principal est en fuite. C’est le même problème qu’à Viry-Châtillon où il y a eu des peines dérisoires et des acquittements faute de preuves suffisantes ou d’aveux de la part des mis en cause.

 

Lorsque les policiers sont pris à partie, quelles sont leurs moyens pour se défendre ?

Absolument aucun puisque, aujourd’hui, le policier a deux alternatives. Soit il riposte à ce type d’attaque létale (lorsqu’on vous lance un mortier ou un cocktail Molotov à bout portant), avec son arme de service, il se retrouvera entre quatre murs. Et s’il ne riposte pas, il se retrouvera entre quatre planches. C’est la réalité que vivent mes collègues au quotidien sur le terrain.

 

La police manque-t-elle d’outils juridiques pour se défendre en cas d’agression ?

C’est une évidence. Nous demandons une réforme de la légitime défense et que soit inscrite clairement la possibilité de riposter et d’ouvrir le feu dès lors qu’un fonctionnaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale est visé directement par un tir tendu d’artifice, un lancer de cocktail Molotov ou un tir de mortier.

Comme ce n’est pas inscrit dans la loi, si le collègue ouvre le feu, cela laisse libre cours à toutes les interprétations jurisprudentielles de la part d’un magistrat qui pourra estimer que la proportionnalité entre une arme à feu et un cocktail Molotov n’est pas remplie ou que l’absolue nécessité n’est pas remplie. On reprochera aux fonctionnaires de police de ne pas avoir pris la fuite pour éviter la confrontation.

Le texte sur la légitime défense n’est plus du tout adapté à la montée de la violence dans notre pays. On est clairement en guerre civile quand on s’attaque ainsi à mes collègues pour les tuer, les immoler gratuitement. Malheureusement, l’arsenal juridique et législatif ne suit pas la réalité.

 

Que pensez-vous des décisions de justice rendues pour les agresseurs de policiers ?

Elles ne sont pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre. Cela pose un problème de fond : il n’y a plus d’intime conviction dans les verdicts aujourd’hui. On est dans la culture de la preuve absolue par l’ADN ou de l’aveu. Si vous n’avez pas un individu filmé, parfaitement identifiable sur la vidéo et qui, ensuite avoue, les juridictions relâchent les mis en cause au nom du bénéfice du doute. Il est très compliqué d’arriver à des verdicts sévères dans la mesure où, quand vous avez une quarantaine d’individus cagoulés et masqués qui attaquent les collègues et peu d’éléments matériels pour confondre les auteurs, on se retrouve avec des acquittements.

Cela augmente le sentiment d’impunité des auteurs qui se disent qu’il n’y a aucun risque à attaquer des policiers puisque, derrière, la Justice ne les condamnera pas et qu’ils passeront au travers des mailles du filet.

 

Pourquoi, en France, les véhicules d’intervention ne sont-ils pas équipés de caméra haute définition pour filmer les interventions ?

C’est en pourparlers. Le problème est que l’on a toujours un train de retard, en France. Mais ces caméras ne filment pas H24, et il y a un moment de temporisation. Quand vous êtes en patrouille ou en intervention et que vous êtes pris dans un guet-apens de manière inattendue, si vous n’avez pas une caméra qui tourne H24, c’est compliqué de filmer. De plus, la caméra ne peut pas tout résoudre. Par exemple, dans un guet-apens où l’on est attaqué par une quarantaine d’individus cagoulés, même si la scène est filmée, ça ne va rien donner de particulier.

Le travail dont les enquêteurs ont besoin est de trouver une police du renseignement où on a des informations qui puissent être exploitées par la suite et reconnues par les services de Justice. Aujourd’hui, les seules preuves reconnues par les tribunaux sont des images où l’on voit parfaitement la tête de l’auteur, puis ses traces ADN et ses aveux. L’exigence de telles preuves pour une condamnation fait que les condamnations sont exceptionnelles car, malheureusement, les criminels qui nous attaquent prennent des précautions, ont souvent des gants pour ne pas laisser de traces ADN, ont le visage cagoulé et prennent rapidement la fuite. Si les témoignages et les dénonciations ne sont pas pris en compte par la Justice, qui estime que ce type de preuve laisse subsister un doute, on n'arrive plus à aucune condamnation en France.

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30 juillet 2021 à 14:49

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