Grâce à la proportionnelle, le Front national peut, pour la première fois, former un groupe à l’Assemblée. Mais les succès de Jean-Marie Le Pen s’expliquent surtout par son programme, au moment où les Français prennent conscience des nuisances de l’immigration massive.

C’est la rentrée parlementaire, ce 2 avril 1986. Cinq ans après l’élection de François Mitterrand, la droite est redevenue majoritaire à l’Assemblée et Jacques Chirac vient d’être nommé à Matignon : c’est la cohabitation. Une situation inédite qui intéresse évidemment les journalistes, mais à peine plus que l’élection, au palais Bourbon, de 35 députés du Front national. Les voilà qui arrivent tout sourire, groupés autour de Jean-Marie Le Pen, et posent pour la postérité sur les marches de l’Assemblée.

Qui sont-ils, ces nouveaux députés ? Dans Le Monde, Plantu les caricature comme des clones de Jean-Marie Le Pen, vêtus d’un uniforme et portant brassard, à l’image des élus nazis siégeant au Reichstag dans les années 1930… Insultant et stupide, car ces hommes et cette femme (Yann Piat) sont universitaires, comme Bruno Gollnisch, hauts fonctionnaires, comme Bruno Mégret, avocats, médecins… Certains sont issus du RPR, comme Édouard Frédéric-Dupont et Charles de Chambrun, qui fut secrétaire d’État sous Georges Pompidou. Trois sont membres du Centre national des indépendants et paysans, l’un des plus vieux partis de France. Car Le Pen, pour ces élections, a décidé de nouer des alliances et de rassembler au-delà de ses fidèles, toujours présents : Pierre Sergent, Roger Holeindre, alias Popeye, Jean-Pierre Stirbois… Tous siégeront au sein d’un groupe dénommé « Front national – Rassemblement national ».

Par quel miracle ces 35 députés sont-ils là ? Pour la première fois sous la Ve République, et la seule jusqu’à ce jour, les élections législatives des 16 et 23 mars 1986 ont eu lieu à la proportionnelle. François Mitterrand l’avait promis dans ses 110 propositions. Bien sûr, il y a aussi du calcul dans sa décision : la gauche voulait « empêcher la droite d’avoir une majorité écrasante à l’Assemblée », reconnaîtra Jospin. Favoriser l’élection d’un contingent de députés FN s’inscrit dans cette logique de fragmentation de la droite.

On aurait pourtant bien tort d’expliquer les progrès du Front national par les manœuvres florentines de Mitterrand. Dès les cantonales de 1982, le FN enregistre des succès locaux, amplifiés aux municipales de 1983 : à Dreux, la liste de Jean-Pierre Stirbois recueille 16,7 % des suffrages au premier tour et fusionne avec celle du RPR pour enlever la ville à la gauche. En 1984, le Front national obtient près de 11 % des suffrages aux européennes (plus de 2,2 millions de voix) et envoie 10 députés à Strasbourg.

Il y a des explications objectives à cette percée. Le regroupement familial, décidé par Jacques Chirac en 1976, a profondément modifié la nature des flux migratoires : femmes et enfants sont venus rejoindre les travailleurs étrangers qui ne repartiront plus jamais chez eux. Ce n’est plus une immigration de travail mais de peuplement. Et cette mutation pose des problèmes inédits. En juin 1981, deux mois à peine après l’arrivée de la gauche au pouvoir (qui régularise 132.000 clandestins), la cité des Minguettes s’enflamme à Vénissieux. Plus de 200 véhicules incendiés ! Ce sont les premières émeutes urbaines.

En 1982 et 1983, des grèves paralysent l’industrie automobile française. Les trois quarts des ouvriers de l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois sont étrangers, plus de la moitié à l’usine Talbot de Poissy. Leurs revendications ne portent pas seulement sur les salaires ou sur les droits sociaux : à Aulnay, les grévistes réclament l’ouverture d’une salle de prière. Le ministre du Travail, Jean Auroux, explique qu’il y a « à l’évidence une donnée religieuse et intégriste dans les conflits que nous avons rencontrés ». Celui de l’Intérieur, Gaston Defferre, parle même de « grèves saintes d’intégristes, de musulmans, de chiites » ! Libération, Le Monde s’en offusquent.

La presse de gauche va largement relayer la « Marche des Beurs » qui part de Marseille, le 15 octobre 1983, à l’initiative d’un pasteur protestant et du « curé des Minguettes », le père Christian Delorme. Ses participants réclament la création d’une carte de séjour de dix ans, qu’ils obtiendront, et dénoncent le racisme et les brutalités policières… François Mitterrand, qui les reçoit à leur arrivée à Paris, favorisera quelques mois plus tard la création de SOS Racisme, avec Harlem Désir et Julien Dray.

À l’Assemblée, les députés du Front national déposeront 63 propositions de loi dans le but de modifier le Code de la nationalité, d’élargir les cas d’expulsion des délinquants étrangers ou d’« instituer une préférence nationale en faveur des Français dans l’accès et le maintien à l’emploi ». Aucune de ces propositions ne sera votée ni même discutée dans l’Hémicycle. La majorité s’empressera de rétablir le scrutin majoritaire, privant le FN puis le RN d’une représentation proportionnelle à son poids politique. Jusqu’en 2022.

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10 août 2022 à 18:00

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9 commentaires

  1. Notre pays musulman…..Sauf que nous n’avons ni Gaz ni Pétrole, juste la misère à partager !

  2. Jean Marie LE PEN avait raison, le présent le rappelle amèrement à ceux qui avaient confiance ne lui…..
    Le RN, héritier du FN saura peut être enfin réaliser les désirs du mouvement !!!!
    Mais ça prend du temps et « ils » arrivent car notre pays est un passoire……

  3. Ecellente rétrospective qui permet de comprendre la génèse de la « chienlit » actuelle ..

  4. Aux dernières législatives, on a été stupéfait, MLP la première, du nombre de députés RN. On aurait pu croire que la proportionnelle avait été instaurée ! Certes, avec celle-ci, il y aurait eu 180 députés RN et beaucoup moins de LREM, mais c’est déjà un signe/symbole très positif : la brèche s’ouvre grand.

  5. J-M le Pen pressenti bien avant tous nos politiques, les risques du communautarisme. Je me souviens qu’il parla de la Libanisation de notre PAYS. On y est depuis longtemps. Que faut-il faire maintenant ? Alors qu’une colonie de vacances connaisse les affres du séparatisme.
    C’est triste, affligeant, mais réel. Doit-on légiférer ? J’en doute.

    1. Responsable: Pompidou en 1963, qui sur ordre du CNPF bailleur de fonds électoral de l’UNR UDR fit venir des maghrébins POUR BAISSER LES SALAIRES.. VGE et Chirac achevèrent le mauvais coup!

  6. L’avenir nous montrera si MLP a su faire du RN un parti mâture et de gouvernement.
    Il va être temps qu’elle renoue avec Reconquête ! Elle doit montrer que la France est supérieure à son égo.

  7. Ces élections s’étaient déroulées à la proportionnelle départementale intégrale à un seul tour, le 16 mars 1986. Il n’y a pas eu d’élection le 23 mars suivant.

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